Ce sont deux visions fort différentes de l'avenir des médias qui ont été évoquées hier, des deux côtés de l'Atlantique.

Pendant que les dirigeants des grands groupes de presse réunis à Paris dans le cadre du e-G8 se faisaient rassurants quant à l'avenir de la presse, affirmant que «ce qui nous définit c'est notre contenu, pas le mode de distribution», les participants à la conférence mesh 2011, à Toronto, tenaient pour leur part un autre discours.

«Nous assistons actuellement à une perturbation du biorythme des médias, a lancé Emily Bell, ancienne directrice du contenu en ligne du Guardian de Londres, aujourd'hui directrice du Tow Center for Digital Journalism à l'Université Columbia, à New York. «J'ai couvert l'industrie des médias durant de longues années, et ce, dès le milieu des années 90, a-t-elle raconté devant une salle bondée. Je me souviens de la création de Sky par Rupert Murdoch, c'était révolutionnaire. Or il aura fallu attendre les années 2003 à 2005 avant que les patrons des grandes entreprises de presse réalisent qu'ils n'avaient peut-être pas porté suffisamment attention à ce qui était en train d'émerger.»

Emily Bell fait partie des conférenciers invités à prendre la parole dans le cadre de la conférence mesh 2011 à laquelle assistent environ 750 personnes issues des médias, de l'internet et du secteur des nouvelles technologies. Durant sa conférence, elle a évoqué toutes ces nouvelles entreprises et ces nouveaux sites web qui sont apparus au cours des dernières années, qu'on pense à Huffington Post, au Drudge Report, mais aussi à Google, Facebook et Twitter. «Les grands médias se sont dit: notre travail ne change pas, ce sont les tuyaux qui changent. Or ils avaient tort. C'est plus que cela. C'est carrément une nouvelle industrie qui est née.»

Aujourd'hui, pour survivre, les entreprises de presse doivent répondre à deux impératifs, selon elle: les médias sociaux et l'instantanéité. «Les médias qui s'abritent derrière un mur payant, ou qui s'enferment dans une application fermée comme celle du Daily, sans permettre aux internautes de faire circuler et d'échanger leurs textes, sont condamnés», affirme-t-elle.

Médias sociaux

Comme un écho aux propos d'Emily Bell, Rob Fishman, éditeur au Huffington Post, est venu expliquer devant une salle remplie à craquer de quelle façon le célèbre site, qui vient d'unir sa destinée au géant America Online, utilise les médias sociaux au quotidien. «Nous avons des lecteurs fidèles, ainsi que des visiteurs qui sont attirés par des outils de recherche ou qui atterrissent sur notre site grâce à Facebook et Twitter, a expliqué M. Fishman. Notre but est de transformer tous ces visiteurs en lecteurs fidèles.»

Pour ce faire, chaque page du Huffington Post est parsemée de boutons incitant les internautes à apprécier les textes qu'ils lisent, mais aussi à les faire circuler et même à y contribuer. «Nous avons développé toutes sortes d'outils qui permettent de nous envoyer des photos et des vidéos très facilement, explique M. Fishman. Et partout dans le site, nous invitons les lecteurs à commenter. Nous recevons en moyenne 4 millions de commentaires par mois et certains textes ont suscité jusqu'à 100 000 «j'aime» sur Facebook. Ce sont tous des moyens pour générer de la circulation sur notre site, a reconnu Rob Fishman qui précise que les journalistes qui travaille pour le Huffington Post ne se contentent pas d'écrire des articles, ils doivent s'assurer que leurs textes circulent dans les médias sociaux et qu'ils soient avantageusement référencés dans les sites de recherche.

On peut penser qu'entre la vision purement journalistique des patrons du New York Times et du Financial Times exprimée à Paris, et celle plus terre à terre et commerciale des sites comme le Huffington Post telle que décrite à Toronto, se trouve sans doute quelque chose qui ressemble à l'avenir des médias.