La nomination de la première femme en 160 ans à la tête du New York Times n'est pas la seule révolution qui risque d'ébranler les murs du célèbre quotidien. La nouvelle patronne, Jill Abramson, qui jusqu'à vendredi dernier n'était pas abonnée à Twitter, et qui vient tout juste de s'acheter un iPad, semble déterminée à brasser la cage de la célèbre Grey Lady.

En entrevue au quotidien The Guardian, Mme Abramson, ancienne journaliste du Wall Street Journal, a annoncé certains changements. Elle dit vouloir modifier la perception qu'ont les gens du New York Times, soit celle d'un journal qui détient la vérité absolue. Il semble que la direction ait l'intention d'engager davantage la conversation avec ses lecteurs (c'est LA tendance dans les médias actuellement). «Les lecteurs sont sceptiques face à l'autorité absolue, j'en suis consciente, a-t-elle reconnu. Nos lecteurs sont une ressource incroyable et nous devons être plus dynamiques dans notre façon de mettre en valeur la grande qualité de cette communauté en ligne.»

Jill Abramson a également souligné que le New York Times allait de plus en plus utiliser Twitter dans ses reportages (le journaliste Brian Stelter l'a fait lorsqu'il a couvert les ouragans de Joplin, twittant les événements au fur et à mesure) et faire du NYT une plateforme rassembleuse.

Les projets de la nouvelle patronne ne sont pas très différents de ceux de la plupart des dirigeants de salles de rédaction un peu partout sur la planète (à l'exception de quelques endroits comme la Chine, par exemple). Tous les médias ont compris que le pouvoir n'était plus entre leurs mains exclusivement et que l'information était désormais une activité basée sur la collaboration. Il y a quelques années, on appelait cela du journalisme citoyen, aujourd'hui, dans le jargon, on utilise plutôt l'expression «journalisme pro-am» (professionnel-amateur), une approche qui compte sur une communauté de lecteurs ou auditeurs engagés et motivés à contribuer au contenu.

Un des plus féroces défenseurs de cette approche est sans contredit Jay Rosen, professeur de journalisme à la New York University, blogueur et auteur. Dans son blogue la semaine dernière, Jay Rosen a attribué des notes aux différentes pratiques journalistiques en cours actuellement. Sans surprise, c'est le travail d'édition de contenu (en gros: l'action de chercher, rassembler et partager des informations sur un sujet donné) d'Andy Carvin qui mérite un A". Andy Carvin, que nous avons interviewé en mars dernier au festival SXSW, est le responsable des médias sociaux de NPR qui a couvert la révolution arabe en retwittant ses sources établies au Moyen-Orient (blogueurs, abonnés Twitter, etc.). Carvin ne relayait pas les informations sans les avoir vérifiées au préalable, ce qui lui a valu crédibilité et respect dans le milieu journalistique.

Jay Rosen rappelle que les médias doivent faire davantage que de demander à leur public de réagir en écrivant un commentaire ou en fournissant des images. Ce n'est plus suffisant. Il cite l'initiative de CNN, iReport, qui demande aux gens sur place au moment d'un événement comme l'accident nucléaire de Fukushima par exemple, de fournir des images ou des témoignages. Pour Jay Rosen, c'est l'équivalent des vidéos amateurs qu'on diffusait dans les bulletins d'information au début des années 2000. Les médias devraient pousser le concept beaucoup plus loin.

Jay Rosen va-t-il trop loin? En effet, il va jusqu'à dire que tous les sites des médias devraient mettre à disposition du public un formulaire semblable à celui d'OpenFile sur lequel le citoyen peut «passer sa commande», c'est-à-dire suggérer un sujet aux journalistes ou encore, enrichir le contenu déjà en ligne. Jay Rosen propose aussi d'imiter Al-Jazira. En mai dernier, la télévision arabe a annoncé qu'elle allait offrir une formation multimédia aux journalistes citoyens qui souhaitaient collaborer à la couverture de certains événements en particulier dans des coins du monde où Al-Jazira n'a pas de correspondants.

Au fond, c'est une tout autre façon d'aborder le journalisme citoyen. Plutôt que de le voir comme une menace aux médias traditionnels, on le considère plutôt comme une autre corde à l'arc des médias. Et plutôt que de le laisser évoluer dans tous les sens, sans aucune base ou règle professionnelles, les médias traditionnels gagneraient plutôt à l'encadrer et à lui donner une direction. Le New York Times, qui pour l'instant est loin d'être à l'avant-garde dans ce domaine, ira-t-il aussi loin qu'Al-Jazira? Chose certaine, tous les médias sont en train de repenser leur approche de la couverture journalistique. Bientôt, qui sait, la rubrique que vous lisez actuellement sera peut-être signée Nathalie Collard, avec la collaboration d'un, deux ou trois lecteurs...

Pour lire le blogue de Jay Rosen: pressthink.org