Depuis une semaine, le quotidien britannique The Guardian mène une expérience audacieuse en invitant ses lecteurs à participer à la production du journal. Chaque jour, l'équipe rédactionnelle publie la liste des nouvelles auxquelles les journalistes travaillent (à l'exception de leurs scoops, bien entendu) accompagnée des coordonnées des journalistes affectés aux reportages. Les lecteurs sont invités à entrer en contact avec eux pour suggérer des angles, des ressources, des informations, etc.

«Au lieu de se plaindre le lendemain que le texte n'était pas bon ou que le journaliste a oublié de couvrir un angle, les lecteurs pourront participer en amont», a lancé l'éditeur du Guardian en expliquant le projet.

Ce type d'expérience comporte bien sûr des risques. Entre autres, celui de fournir des munitions à la concurrence. Comme en fait foi ce tweet ironique du chroniqueur d'un journal rival, qui a lancé cette semaine: «Allez, le Guardian, sortez votre liste de sujets. Ma réunion de production est dans une heure.»

L'éditeur du Guardian est bien conscient de ces écueils et affirme qu'il s'agit d'une expérience d'une durée de deux semaines. Ensuite, il avisera.

Le Guardian n'est pas le seul à tenter une expérience de la sorte. The Atlantic Wire invite ses lecteurs à assister à la discussion éditoriale entre journalistes et éditeurs, un peu comme l'avait fait le New York Times l'an dernier en diffusant ses réunions de rédaction. La différence: les lecteurs de The Atlantic Wire sont invités à ajouter leur grain de sel.

Communauté de lecteurs

Ce genre d'initiative n'aurait jamais pu voir le jour il y a cinq ans. Jusqu'ici, les médias ont toujours gardé jalousement le secret sur leur contenu. On leur reprochait également d'oeuvrer du haut de leur piédestal. Il serait faux de dire que cette ère est révolue, et il serait naïf de croire que les médias pratiqueront désormais la transparence et l'ouverture totale, mais la popularité des médias sociaux a causé une véritable volonté de collaboration.

Aujourd'hui, à l'exception des exclusivités, il est plus rare qu'avant d'apprendre une nouvelle en lisant le journal ou en regardant le bulletin d'information. Exposés toute la journée à la télé, à la radio, au web ou à Twitter, les gens ont déjà une bonne idée de ce que sera la nouvelle du jour. Le défi des médias est donc de proposer le contenu le plus riche, étoffé par des analyses, une valeur ajoutée.

Partant du fait que chaque lecteur ou auditeur est un expert dans au moins un domaine, que ce soit la vie de son quartier ou son secteur professionnel, les médias font donc appel à son expertise pour enrichir leur contenu.

D'ailleurs, on parle de moins en moins de lecteurs ou d'auditeurs et de plus en plus de communauté pour décrire l'auditoire fidèle des médias. La question: pendant combien de temps cette communauté sera-t-elle prête à collaborer, et voudra-t-elle quelque chose en échange? C'est là que pourraient entrer en jeu les principes de «gamification». Un journal pourrait par exemple offrir des prix ou des avantages aux lecteurs qui participent le plus. Nous n'en sommes pas là pour l'instant.

D'ici là, l'expérience du Guardian - un journal à l'avant-garde en matière d'utilisation de la technologie et des médias sociaux - est un essai que la communauté journalistique suit de près. Espérons que le journal la prolonge au-delà des deux semaines prévues, question de pouvoir mesurer l'impact et les implications réelles de cette nouvelle façon de faire qu'on peut qualifier de révolutionnaire.