Le modèle que véhicule la presse féminine est d'une pauvreté navrante, mais celui qu'on propose aux hommes dans les magazines qui leur sont destinés ne vaut guère mieux.

C'est une des conclusions auxquelles arrive Lori Saint-Martin, professeure de littérature à l'UQAM, auteure et féministe convaincue qui publie ces jours-ci Postures viriles: ce que dit la presse masculine. Après avoir analysé en profondeur trois publications québécoises, Mme Saint-Martin constate que leur contenu est très éloigné de la réalité. La nouvelle paternité, l'amitié entre hommes et le poids de la vie professionnelle sont des thèmes qui occupent l'esprit des hommes en 2011. Pourtant, ces thèmes sont pour ainsi dire absents de ces magazines.

Contrairement aux États-Unis et à l'Angleterre, le Québec compte peu de publications destinées aux hommes. L'auteure s'est donc intéressée à trois titres: Homme, Summum et Summum Girl. Mme Saint-Martin fait de ces trois publications une analyse très détaillée: choix des sujets, des mots, des titres, des photos, angles de traitement et, surtout, analyse du discours, de la présentation des photos, etc. Tout est décortiqué.

Son bilan? Le contenu de ces magazines est plutôt conformiste et, surtout, pas très éloigné du cliché «pitounes et chars».

Prenons le magazine Homme qui s'adresse à un lecteur relativement raffiné, hétérosexuel et métrosexuel sur les bords. On n'y trouve pas de photos sexy, la publication est chic et de bon goût. Cela dit, Lori Saint-Martin lit dans la majorité des textes une défense de la masculinité de l'homme québécois. On veut la préserver, la restaurer, voire même la glorifier, écrit-elle. Elle ajoute: «Dans le meilleur des mondes qu'aspire à inventer le magazine, James Bond, entre deux sauts en parachute, soignerait virilement sa peau et servirait à ses invités épatés la viande de bêtes qu'il aurait lui-même tuées.»

Parmi les sujets qui reviennent le plus souvent dans Homme, Mme Saint-Martin a noté «la guerre, les gadgets et les filles». Les relations de couple et d'amitié sont absentes et il arrive à deux occasions qu'on aborde la relation père-fils. Numéro après numéro, le discours est antiféministe et hargneux et reprend des idées du discours masculiniste, toujours selon l'auteure.

Dans Summum, on présente une vision un peu plus macho des hommes. Il faut dire que le magazine s'adresse à un lectorat plus jeune qui écoute beaucoup de musique, regarde des films d'action, sort dans les clubs et s'intéresse aux filles. Dans Summum, contrairement à Homme, la masculinité ne semble toutefois pas menacée: on s'intéresse aux sports, aux sports extrêmes et aux voitures.

Pourquoi s'être intéressée à Summum Girl, un magazine féminin? Parce que, selon l'auteure, cette publication vise la femme dont rêve l'homme de Summum. «Summum Girl prépare la fille dont parle Summum», souligne-t-elle. En effet, la fille de Summum Girl n'est là que pour gonfler l'égo masculin et ressemble davantage à une star de film porno («une femme calquée sur le désir masculin», écrit l'auteure) qu'à une femme émancipée.

Au final, observe l'auteure, c'est l'incapacité à articuler un discours masculin qui se dégage de toutes ces publications. On perpétue les stéréotypes, on évite les questions de fond et on continue comme si les mentalités n'avaient pas évolué.

À quoi servent ces analyses, demanderont certains? On lit un magazine pour se distraire et non pour se casser la tête. Des livres comme ceux de Lori Saint-Martin servent d'abord à prendre le pouls de la société. Car nos productions culturelles sont le reflet d'une partie de notre société. À mi-chemin entre le fantasme et la réalité, elles font écho à un discours qui existe bel et bien au Québec. Il suffit de regarder des téléréalités comme Occupation double pour s'en convaincre.

Cela dit, personne ne s'attend à ce que le lecteur s'empare d'un magazine avec une grille d'analyse du discours dans la main gauche et un gros marqueur jaune dans la main droite. On laissera ça aux universitaires comme Mme Saint-Martin dont l'analyse, pertinente, permet d'apprécier le chemin parcouru. Ou non.

Dans ce cas-ci, le constat est clair: le magazine masculin québécois ne reflète pas du tout la réalité de la plupart des hommes québécois. En ce sens, il est comparable au magazine féminin qui perpétue le fantasme (et le cliché) de la femme hyper féminine, vulnérable et séductrice alors que le magazine masculin, lui, promeut l'image de l'homme héroïque, viril et protecteur. Et ce, malgré des décennies de féminisme. Pourquoi? Parce que le but premier de ces publications n'est pas d'informer, mais plutôt de distraire, de vendre du rêve, du fantasme et de la publicité. Les lecteurs connaissent les règles du jeu et y consentent. Ils lisent les magazines pour les quelques minutes d'évasion qu'ils leur procurent. Achèteraient-ils des magazines plus réalistes et reflétant leur réalité quotidienne? On peut en douter.