Le suicide de la jeune Marjorie Raymond, la semaine dernière, a profondément bouleversé le Québec. Normal: c'était une belle jeune fille qui ressemblait à n'importe quelle adolescente de notre entourage - notre fille, notre nièce, notre voisine. La portée de son geste a rapidement dépassé les frontières de Sainte-Anne-des-Monts, la petite ville qu'elle habitait dans la région gaspésienne. Grâce (ou à cause) des médias traditionnels et des réseaux sociaux, les détails de la tragédie se sont répandus comme une traînée de poudre dans la province. Même les élus de l'Assemblée nationale ont commenté l'événement qui est rapidement devenu LA nouvelle de la semaine.

En l'espace de quelques heures, non seulement la mère de l'adolescente avait accordé plusieurs entrevues dans les médias, mais on connaissait aussi l'identité d'une des amies de la victime, soupçonnée d'intimidation à la suite d'une violente dispute avec la disparue. La page Facebook de cette jeune fille avait également circulé dans les réseaux sociaux. Le coup de grâce: le dévoilement de la lettre que la jeune Marjorie a écrite à sa mère pour expliquer son geste (publiée avec l'accord de la mère, cela dit).

Vous avez dit monstre médiatique? Il fut un temps où les médias adoptaient la même attitude que la Société de transport de Montréal face aux suicides. On n'en parlait pas, de peur d'encourager d'autres personnes à faire de même.

Dans ses suggestions aux médias, l'Association internationale pour la prévention du suicide recommande de parler d'un suicide dans les médias seulement s'il s'est produit dans un lieu public, si la victime était connue, si d'autres personnes ont été affectées par le geste, ou encore si la personne s'est enlevé la vie pour protester contre une injustice.

Dans le cas qui nous intéresse, il ne fait aucun doute que des gens ont été affectés par le geste de l'adolescente. Il fallait en parler dans les médias. D'autant plus que l'intimidation est un véritable fléau dans le milieu scolaire ainsi que dans les réseaux sociaux.

L'intimidation et la violence entre jeunes causent une réelle détresse chez les jeunes et le suicide de Marjorie Raymond représentait une occasion d'expliquer à quel point ce genre de comportement peut faire des ravages.

Est-ce qu'il fallait pour autant tout dévoiler? N'y a-t-il pas quelque chose d'infiniment intime dans la lettre qu'une jeune fille adresse à sa mère avant de s'enlever la vie? La semaine dernière, sur Twitter, une journaliste se vantait d'avoir obtenu ladite lettre «en exclusivité». Misère... La veille, une blogueuse mettait en ligne la page Facebook de la jeune fille impliquée dans la dispute avec Marjorie Raymond, et ce, sans cacher son identité (elle l'a cachée par la suite). On a également publié les échanges entre les élèves de l'école Gabriel-Le Courtois (école que fréquentait la jeune victime) sur Facebook. N'y a-t-il pas là tous les ingrédients d'un grand dérapage? Certes, tout ce qu'on écrit sur Facebook est public, mais devait-on absolument exposer ces jeunes de la sorte? Dévoiler l'identité d'une jeune fille soupçonnée d'intimidation n'est-il pas, en soi, un acte d'intimidation? Entre le devoir de traiter ces questions difficiles et la facilité avec laquelle on tombe dans le lynchage public, il devrait - il aurait dû - y avoir une ligne à ne pas franchir.

Les médias ne sont pas les seuls responsables puisque le public, semble-t-il, est friand de ces détails et participe, sur les réseaux sociaux, à ce déferlement. Or, comme l'intimidation, la dérive médiatique est l'affaire de tous.

Qui recoudra le tissu déchiré de cette petite communauté, une fois le bulldozer médiatique passé? Qui épaulera cette mère éplorée lorsqu'elle se retrouvera seule avec ses souvenirs et sa douleur?

Dans une société où le taux de suicide chez les jeunes est tristement élevé, et où ce type de tragédie risque malheureusement de se reproduire, ce sont des questions qu'on doit se poser.