Les étudiants en journalisme peuvent-ils rêver d'une carrière comparable à celle de Céline Galipeau, Yves Boisvert ou Josée Boileau? Pas sûr. La crise de la presse écrite, les coupes à Radio-Canada, la concentration des ressources dans plusieurs médias font en sorte que les bons emplois sont plus rares aujourd'hui.

En 2006, Pascal Lapointe et Christiane Dupont publiaient un guide destiné aux nouveaux journalistes. En voici un court extrait: «Plusieurs centaines de jeunes sortiront des programmes de journalisme d'ici l'an 2010... Combien se trouveront du boulot comme journaliste? Du boulot, c'est-à-dire un emploi, rémunéré, permanent, dans une salle de nouvelles? Très peu. Et que feront les autres? S'ils persistent dans le métier, ils feront de la pige, ils auront des contrats, du travail précaire. Ils seront journalistes indépendants. Ils seront les nouveaux journalistes.»

En effet, pas facile d'être un journaliste débutant aujourd'hui. Il y a de l'emploi, mais il est rarement permanent. Il y a surtout beaucoup de piges ainsi que des contrats temporaires. C'est le cas à Radio-Canada, sans doute un des employeurs les plus importants en journalisme au Québec. Il y a quelques jours, on a appris sous la plume de mon collègue Richard Therrien le départ de six journalistes de la salle de nouvelles. De ce nombre, deux prennent leur retraite. Les autres, des jeunes dans la trentaine, s'en vont pour en finir avec la précarité.

Ces départs sont symptomatiques d'un problème chronique à Radio-Canada: la précarité des employés temporaires. On peut passer des années à l'emploi de la société d'État sans jamais obtenir sa permanence. Des exemples: Thérèse Floréa, lectrice de nouvelles radio à la voix si douce et chaleureuse, qui vient de prendre sa retraite, était encore employée temporaire après toutes ces années (!). Maxime Coutié, qu'on peut entendre à l'émission C'est bien meilleur le matin, a dû attendre 11 ans avant de devenir permanent. Des employés temporaires qui comptent plusieurs années d'expérience en reportage se font offrir des horaires morcelés, des tâches de rédaction ou de sous-titrage pour compléter leur semaine de travail. Drôle de message de l'employeur: on les apprécie assez pour les faire travailler, mais pas suffisamment pour leur accorder une permanence. «C'est difficile de penser à un plan de carrière à Radio-Canada», reconnaît Alex Levasseur, président du syndicat des communications de Radio-Canada.

La précarité des emplois radio-canadiens n'est pas un sujet nouveau. En 2002, au moment du lock-out, le sujet était au coeur des négociations. À une assemblée syndicale particulièrement émotive, l'animateur Pierre Maisonneuve avait d'ailleurs déclaré: «Quand je suis entré à Radio-Canada, j'ai eu ma permanence après une semaine de formation et trois mois de probation. Pourquoi ces conditions, que je considérais normales pour moi, ne le seraient plus pour les jeunes qui nous suivent?»

On s'entend, personne ne rêve aujourd'hui d'un tel traitement. Mais entre la permanence au bout d'une semaine et la permanence après une décennie de loyaux services, il y a sûrement une solution raisonnable que pourraient viser employeur et syndicat.

Jean-Philippe Cipriani est un de ceux qui quittent Radio-Canada. Il y travaillait depuis 10 ans. Il a été reporter sur le terrain, a travaillé pour le web, a lu les nouvelles et couvert les faits divers. Il devait parfois compléter sa semaine par quelques heures de rédaction. À 32 ans, il a décidé d'accepter l'offre de Huffington Post Québec où il occupera le poste de chef des nouvelles. «J'ai toujours été un remplaçant, note-t-il. Mon horizon ne dépassait jamais deux semaines. Ma polyvalence m'a permis de travailler, sauf que, selon mon expérience, la polyvalence nuit aux jeunes journalistes dans l'état actuel des choses; puisqu'ils peuvent remplacer un peu partout, quel intérêt aurait-on à les asseoir dans une seule chaise? Le syndicat se bat pour obtenir des postes permanents, alors il ne défend pas vraiment les surnuméraires. Le problème, c'est qu'il y aura toujours des surnuméraires et que personne ne se soucie de leur sort.»

Un avis que le président du syndicat, Alex Levasseur, ne partage évidemment pas. Les quelque 400 temporaires de Radio-Canada ont vu leurs conditions s'améliorer au fil des ans, dit-il. «On a créé des équipes volantes pour leur assurer une certaine permanence. On a uni les listes de rappel. Il est possible d'être temporaire à temps plein, mais, bien sûr, il y aura toujours des exceptions.»

Pourquoi en faire un plat? En quoi la précarité des journalistes est-elle inquiétante? Elle l'est parce que la santé de la démocratie repose en partie sur la santé de sa presse. Pour fouiller des dossiers qui risquent d'ébranler les pouvoirs en place, il faut compter sur des journalistes qui jouissent d'une certaine sécurité, qui sont protégés par leur syndicat et/ou leur employeur. Dans ce contexte, la précarité est un cancer qui vient ronger les assises du quatrième pouvoir.