L'entrevue accordée par Stephen Harper à Radio-Canada durant les dernières élections a été annoncée dans plusieurs quotidiens au Québec, mais pas dans ceux appartenant à Quebecor. Une telle pratique est discriminatoire et porte préjudice aux lecteurs des journaux de Quebecor.

C'est la plainte formulée par le grand patron de l'entreprise, Pierre Karl Péladeau, dans une lettre qu'il a envoyée directement au premier ministre Stephen Harper, dans les jours qui ont suivi le scrutin du 2 mai 2011.

M. Péladeau s'est servi de cet exemple pour illustrer ce qu'il juge être une attitude injuste de la société d'État envers son entreprise en matière de publicité.

La Presse a obtenu le document rédigé en anglais et daté du 10 mai, soit huit jours après que les conservateurs de Stephen Harper eurent remporté leur première majorité à la Chambre des communes sans appui important du Québec (5 sièges seulement sur 166).

«Au cours des deux dernières années, j'ai écrit régulièrement au président et directeur général de CBC/Radio-Canada, Hubert T. Lacroix, avec des copies conjointes à l'honorable James Moore et les membres du conseil d'administration de CBC/Radio-Canada, pour dénoncer ce que je considère des pratiques publicitaires discriminatoires du diffuseur public, notamment son refus systématique d'acheter de la publicité dans plusieurs de nos journaux que nous publions dans les villes importantes du Canada», écrit M. Péladeau.

«Je croyais que cela serait d'un intérêt spécifique pour vous étant donné que Radio-Canada a choisi de publier des annonces promotionnelles dans La Presse, Le Soleil et Le Devoir au sujet de l'entrevue que vous avez accordée à Céline Galipeau durant la dernière campagne, excluant ainsi les lecteurs des journaux les plus lus à Montréal et à Québec», ajoute le patron de Quebecor dans sa lettre.

Le PDG québécois a conclu sa missive en disant espérer que ce cas précis jette de la lumière sur «une pratique discriminatoire qui ne sert à personne sauf les intérêts vindicatifs» de la haute direction de Radio-Canada.

Il a joint à cette lettre des exemplaires des numéros du Journal de Montréal et du Journal de Québec du 28 avril dans lesquels l'annonce de Radio-Canada n'apparaît pas et les numéros de La Presse, du Soleil, du Devoir du même jour dans lesquels l'annonce en question est publiée.

M. Péladeau a aussi expédié au premier ministre dans le même envoi les lettres qu'il avait envoyées à Hubert Lacroix au cours des années précédentes pour qu'il puisse les passer en revue.

Étude en comité

La question des habitudes publicitaires de la société d'État a été discutée quelques mois plus tard au Parlement.

Lors de la reprise des travaux au mois de septembre suivant, le secrétaire parlementaire du premier ministre, Dean Del Mastro, a présenté une motion pour que le comité permanent de l'accès à l'information se penche sur certains agissements de Radio-Canada.

Cette motion a été adoptée grâce à la majorité conservatrice. Elle se lisait ainsi: «Que le Comité convoque des témoins pour entendre leur témoignage au sujet du conflit relatif à l'accès à l'information et des poursuites concernant la Société Radio-Canada qui en découlent.»

Témoignant devant ce comité le 20 octobre, M. Péladeau a été interrogé par le député néo-démocrate Charlie Angus au sujet de sa correspondance avec le premier ministre.

«À la fin de votre déclaration, vous vous êtes plaint que vos concurrents reçoivent des fonds pour la publicité. Donc, avez-vous écrit au premier ministre ou à Radio-Canada?», a demandé M. Angus.

«J'ai envoyé une lettre pour dire que je parlais avec... et j'ai envoyé des lettres. En fait, j'ai adressé 17 lettres à Hubert Lacroix. En tant que PDG de Quebecor Media, je dois m'assurer que nous recevons notre juste part pour la publicité au Canada. Les médias, surtout les journaux, tirent principalement leurs revenus de la publicité», a répondu M. Péladeau.

Le contenu de la lettre au premier ministre n'a toutefois pas été divulgué.

Réponse du greffier

Le bureau du Conseil privé a cru bon de rédiger une note d'information après avoir reçu la missive du patron de Quebecor. Dans cette note, le greffier du Conseil privé, Wayne Wouters, affirme qu'il est faux de prétendre qu'il existe une politique discriminatoire de la part de la société d'État, comme le soutient Quebecor.

«Il n'existe pas de politique chez CBC/RC qui exclut systématiquement les publications de Quebecor ou ses médias des achats d'espace promotionnel de CBC/RC», soutient M. Wouters dans sa note de service datée du 7 septembre 2011.

Le greffier ajoute que la SRC et CBC ont une part de marché en forte croissance, notamment grâce à leur stratégie en matière de publicité et de marketing.

Marco Dubé, porte-parole de Radio-Canada, a indiqué que le diffuseur public a bel et bien acheté des publicités chez Quebecor au fil des dernières années, mais pas récemment. Il fait d'autre part remarquer que Quebecor n'achète pas de publicités à Radio-Canada/CBC.

- Avec William Leclerc et La Presse Canadienne