Il n'y a pas si longtemps, le terme «curateur» était surtout associé au monde muséal, le curateur (ou conservateur) étant celui qui choisit les oeuvres qui seront présentées dans le cadre d'une exposition.

Aujourd'hui, on a étendu la définition de la «curation» - un mot très laid, il faut en convenir - à toutes sortes de contextes, dont le travail journalistique. Le curateur (traduction du terme curator ou content curator) est celui qui choisit, trie, organise, hiérarchise, met en contexte et donne un sens à des objets ou à des informations. Le curateur fouille le web à la recherche d'informations et d'images qu'il juge pertinentes et intéressantes, les organise à sa façon et les partage avec les autres internautes sur son propre site.

South by Southwest a donc consacré à ce sujet un atelier auquel ont participé David Carr, journaliste médias du New York Times (si vous avez vu le film Page One, vous connaissez le personnage), et Maria Popova, journaliste et fondatrice de Brain Pickings, un très beau site de curation, justement, qui propose des sources (images, textes, graphiques) dans le domaine des arts, de l'architecture, de la philosophie, du design, etc. Les deux autres participants venaient de Flipboard et de Percolate et l'atelier a été animé par le cofondateur de longform.org, une application qui présente une sélection de bons et très longs reportages de journaux et de magazines.

«Je suis vraiment reconnaissant que vous preniez mes textes et que vous les présentiez dans un nouvel emballage souvent plus beau, a lancé David Carr aux curateurs présents. Le problème, c'est que, ce faisant, vous faites disparaître la pub qui me nourrit.»

Cette boutade qui se voulait provocatrice a bien fait rire la salle, mais David Carr, invité à donner son point de vue en tant qu'observateur des médias, touche tout de même au coeur du problème.

C'est bien beau, la curation, mais quelle valeur lui accorder? «Je suis encore abonné au journal parce qu'il me dit: «Voici les histoires qu'il faut connaître aujourd'hui», a poursuivi David Carr. J'aime être stimulé par les intérêts des autres plutôt que par les miens. Si les nouvelles internationales n'étaient pas dans mon journal, je ne m'y intéresserais probablement pas. La semaine dernière, je suis allé couvrir les élections en Russie. Je regardais le bureau des correspondants du New York Times là-bas et je me disais: voilà un truc qui n'est absolument pas rentable, mais qui est essentiel. Nous rendons un service public. Mais qui va investir là-dedans?» Voilà la question qui torture les journaux depuis plusieurs années.

C'est encore plus criant pour les sites de curation puisqu'ils n'offrent aucun contenu original. Pour Maria Popova, dont le site est financé sur une base volontaire par ses lecteurs, le travail de découverte d'information sur le web a toutefois une valeur, intellectuelle et financière. À la différence de l'agrégateur de contenu qui se résume en gros à un vulgaire algorithme, le curateur est un être en chair et en os, curieux et passionné, qui passe des heures à explorer le web à la recherche de perles.

Maria Popova a d'ailleurs avoué qu'elle avait trois alarmes qui l'avisaient qu'il était temps non pas de se lever, mais bien d'arrêter de travailler. «Dans un environnement où nous sommes saturés d'information, le curateur accomplit une tâche précieuse, estime-t-elle. David Carr, lui, évalue la valeur du travail de curation sur la base du ratio «sens contre bruit ambiant».»

Afin que ce travail soit reconnu, du moins symboliquement, Maria Popova propose donc un Code du curateur (curatorscode.org), nouvelle façon d'attribuer à leur auteur-curateur les découvertes que l'on fait sur le web. Un peu comme les guillemets lorsqu'on cite un auteur ou un écrivain, Maria Popova a imaginé deux nouveaux symboles - un S à l'horizontale et une flèche courbée - qui permettent aux internautes d'attribuer la paternité de leur «découverte» à un curateur, un peu comme les RT dans Twitter.

Selon Maria Popova, la curation, lorsqu'elle est faite avec sérieux, serait une forme de création originale qui doit être reconnue, un peu comme les droits d'auteur. Et elle semble bien déterminée à en faire son cheval de bataille. Les symboles de Mme Popova feront-ils leur chemin dans l'univers des médias sociaux? Mais surtout, reconnaîtra-t-on le travail de ceux qui «découvrent» des informations déjà existantes sur le web et les présentent à leur façon alors qu'on peine encore trop souvent à reconnaître la valeur du travail de celui qui a produit cette information en premier lieu? Maria Popova n'a pas fini de se battre.