Chaque semaine, La Presse rencontre une personnalité qui s'est retrouvée au premier plan médiatique et lui pose 10 questions en lien avec la couverture dont elle a été l'objet. La 11e question provient du public.

1 À ce jour, quel bilan faites-vous de vos actions?

L'un des mérites de notre grève c'est d'avoir utilisé une pluralité de méthodes (perturbation, rassemblements artistiques, marches silencieuses) pour faire valoir notre point. La deuxième force de notre mouvement, au-delà de savoir si on va perdre ou gagner, c'est d'avoir mis sur la table un débat de société ainsi que les questions de l'accessibilité à l'éducation et du le rôle de nos universités. On est en train de semer les graines d'un débat de fond.

2 La ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, sera à l'émission Tout le monde en parle demain. Y a-t-il eu des tentatives de rapprochement de sa part ou de celle du gouvernement?

La ministre a une attitude de fermeture complète et c'est l'attitude du gouvernement depuis qu'il est au pouvoir, soit une fermeture aux demandes de la population. C'est le cas dans le dossier du gaz de schiste, de la collusion dans le milieu de la construction et de la taxe santé. Mais c'est aussi un gouvernement qui recule. Il a reculé sur le gaz de schiste et sur la commission d'enquête sur la construction. il va reculer aussi sur les droits de scolarité comme il l'a fait en 2005, lors de la dernière grève étudiante.

3 Vous vous opposez à une hausse des droits de scolarité. Vous ne croyez pas que la bonification du système de bourses serait suffisante?

Actuellement, c'est une infime proportion d'étudiants qui a accès aux bourses. Ensuite, ce qu'on a remarqué ailleurs dans le monde c'est que lorsqu'on augmente les droits de scolarité, on crée une barrière symbolique. C'est la perspective de l'endettement qui décourage les étudiants. C'est ce qui s'est passé en Angleterre. Le régime de bourses était généreux mais on a noté une baisse de la représentation des étudiants issus des familles défavorisées après la hausse des droits de scolarité. La barrière psychologique joue un rôle déterminant.

4 Les différentes associations étudiantes ne parlent pas d'une même voix et ne participent pas aux mêmes événements. Comment expliquer cette dissension?

Il y avait plus de tensions entre les différentes associations en 2005 qu'aujourd'hui. À la fin de la négociation, la CASSÉ (la Coalition de l'Association pour une solidarité syndicale étudiante élargie) avait décrié l'entente faite avec le gouvernement. Cette fois, je peux dire qu'il existe une unité minimale sur la question de la hausse des droits de scolarité. Personne n'en veut. Du côté de la CLASSE, on ajoute la perspective de la gratuité scolaire.

5 On ne vous a pas entendu condamner de façon claire les débordements lors des dernières manifestations étudiantes? Pourquoi?

À la coalition, notre approche en est une de dissociation. Notre rôle n'est pas de materner ni de dire quelle est la bonne ou la mauvaise manière de lutter. Quand on apprend qu'il y aura des initiatives, notre première préoccupation est d'assurer la sécurité des manifestants et de s'assurer que les étudiants n'y soient pas mêlés contre leur gré. J'ajoute que la violence et le vandalisme ne sont pas dans nos pratiques. Mais en tant qu'association étudiante, il ne serait pas légitime de s'ériger en autorité morale. Nous n'avons ni le goût ni le pouvoir de le faire et de toute façon, même si on le faisait, ça ne changerait rien.

6 Une des différences d'avec la dernière grève de 2005 c'est la popularité des réseaux sociaux. Quel est leur impact?

C'est une nouvelle donne. Les réseaux sociaux favorisent les mobilisations spontanées, les gens réseautent sur Facebook comme le soir du 7 mars et organisent une manifestation. L'autre changement, c'est la rapidité du transfert d'information, notamment lors des votes de grève. Quand on est dans une assemblée générale et qu'on apprend à l'instant qu'un cégep vient de voter pour la grève, il y a un effet sur l'assemblée. Enfin ça facilite la communication car il y a une quantité phénoménale d'associations étudiantes au Québec.

7 Le professeur Daniel Turp a déclaré qu'en vertu de plusieurs conventions, les étudiants grévistes pourraient poursuivre le gouvernement devant les tribunaux pour violation de traités. Est-ce une avenue envisageable pour vous?

Cela a déjà été essayé par le passé, en 1996, et ça n'a pas fonctionné. L'effet premier aura été de placer en situation financière précaire l'association qui a poussé le dossier.  Cela dit, ce n'est pas quelque chose qu'on exclut, on ne s'est tout simplement pas penchés sur la question. Et puis dans l'histoire, les gouvernement ont plié à la suite de moyens de pression et des perturbations du déroulement normal des choses, pas nécessairement à des moyens juridiques.

8 Jusqu'à quand comptez-vous multiplier les moyens de pression?

On remarque que les votes de reconduction de grève sont encore très forts, il n'y a aucun signe d'essoufflement. Si on peut prolonger la grève après la fameuse date du 22 mars, on a des bonnes chances de faire reculer ce gouvernement. On va franchir le cap des 200 000 personnes en grève, c'est la moitié des étudiants au Québec et il y a encore des gens qui s'ajoutent. Il va falloir que le gouvernement accepte de reculer car les étudiants ne retourneront pas en classe.

9 Que répondez-vous aux étudiants qui s'opposent à la grève et qui craignent de perdre leur session?

La première chose qu'on leur dit, c'est qu'il faut respecter la décision démocratique qui a été prise. Quand un vote de grève ne passe pas, les gens qui étaient des fervents grévistes vont à leurs cours et acceptent que, collectivement, les étudiants ne voulaient pas aller en grève. Quant à la crainte d'annulation du semestre, c'est impossible. Il y a eu huit grèves illimitées au Québec, c'est la neuvième et ça n'est jamais arrivé, car d'un point de vue financier et logistique, c'est impossible. La menace qui nous est faite n'est pas applicable.

10 Est-ce qu'une carrière politique vous intéresse?

Plus je fréquente le milieu de la politique partisane et plus ça me décourage de m'impliquer un jour. Les partis qui sont susceptibles de prendre le pouvoir sont incapables de nous garantir qu'il s'en vont vers la gratuité scolaire. Le salut ne viendra pas des urnes. L'histoire du Québec nous montre que les grands pas qu'on a faits collectivement ne viennent pas de là mais bien de la mobilisation concrète. Moi je veux qu'on s'en aille vers la gratuité scolaire et la justice sociale et le meilleur moyen pour y arriver, c'est de militer au sein des mouvement sociaux et de mobiliser les gens à descendre dans la rue. C'est ma perspective, bien plus que la politique partisane.

10+1 Question de Julie Allard, étudiante à la maîtrise en psychoéducation

Seriez-vous prêt à négocier avec  la ministre Beauchamp pour  un compromis?

Lorsqu'il y aura négociation, ce sont nos assemblées générales qui se positionneront sur la proposition du gouvernement. Je n'ai aucun pouvoir décisionnel et je suis très fier de ne pas en avoir. Nous avons un comité de négociation pour faire le lien. Cela dit, on est prêts à s'associer avec le gouvernement pour discuter de la façon dont on doit financer nos universités de manière acceptable et comment elles peuvent redevenir ce qu'elles devraient être, c'est-à-dire des lieux de transmission des connaissances plutôt que des catalyseurs de croissance économique.