La presse écrite n'est pas la seule à traverser une crise existentielle. Les agences de presse se voient, elles aussi, forcées de se redéfinir dans le nouveau paysage médiatique. C'est ce qu'est venu nous dire le PDG de l'Agence France-Presse, Emmanuel Hoog, de passage à Montréal où l'AFP compte une petite équipe de journalistes.

Nommé par le gouvernement de Nicolas Sarkozy, Hoog n'avait aucune expérience journalistique lorsqu'il a accepté ce poste prestigieux. Issu du milieu des arts, il a dirigé les destinées de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) avant de passer à l'AFP qu'il doit faire entrer de plain-pied dans le 21e siècle.

La concurrence est féroce dans le domaine. Outre l'AFP (qui emploie 2200 journalistes répartis dans 200 bureaux à travers 165 pays), l'Occident compte deux autres grandes agences de presse: Associated Press et Reuters. Les trois rivales, qui représentent souvent la première ligne dans la couverture de grands événements, se font la lutte pour fournir textes, images, graphiques et vidéos à la télévision, la presse écrite, la radio et le web.

«Nous avons trois défis à relever, a expliqué Emmanuel Hoog, invité à prononcer une conférence devant le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM) vendredi dernier. La vitesse, la masse d'information, et le rapport entre le texte et l'image.»

Avec un budget annuel de 370 millions dollars, dont le tiers provient de l'État, l'AFP a donc décidé de miser davantage sur l'image au cours des prochaines années. «C'est un défi pour des agences qui se sont toujours définies par le texte d'abord, mais nous n'avons plus le choix, l'image est devenue la porte d'entrée en information, affirme-t-il. Nous sommes passés de 20 à 150 vidéos par jour et cette année, nous allons également offrir un service de diffusion en mode continu (streaming) pour certains grands événements».

Il faut dire que la concurrence dans ce domaine est féroce. Reuters, par exemple, développe de plus en plus de contenu audiovisuel et s'est associée avec YouTube pour produire plusieurs chaînes de télé avec des formats d'émissions qui ne sont pas très éloignées de la télévision traditionnelle. Et que dire de tous ces citoyens journalistes, déjà sur le terrain lorsqu'un événement éclate, qui peuvent envoyer des images de très bonne qualité filmées avec leur iPhone ou leur caméra amateure?

Participation citoyenne

Le patron de l'AFP reconnaît que la vitesse est un défi de taille, mais montre une belle ouverture à l'endroit de la participation citoyenne dans la couverture journalistique d'un événement. «Nous voyons cette nouvelle donne comme une richesse supplémentaire de sources, explique-t-il en entrevue à La Presse. Il est bien évident que nous ne pouvons être partout à la fois. Que ce soit en Libye, où nous faisions face à une problématique de conflit classique, ou en Syrie, où la situation était beaucoup plus complexe, nous avons utilisé les collaborations locales. Cela pose pour nous un défi supplémentaire, celui de vérifier et d'authentifier les sources et les images. Prenons les images de Kadhafi mort, par exemple. Il fallait faire attention pour ne pas participer à un exercice de propagande.»

Emmanuel Hoog affirme que l'AFP possède un avantage sur d'autres médias dans un nouveau contexte où le web et la mobilité redéfinissent la manière de s'informer. «À l'agence, avec nos collaborateurs basés un peu partout sur la planète, nous sommes déjà dans une culture de réseau, affirme-t-il. Et nous sommes sur le web depuis toujours.»

Le défi sera plutôt de conserver la marque AFP très forte et pour cela, trier et vérifier une quantité d'information qui arrive de plus en plus vite. «Aucune concession ne sera faite à la vitesse», affirme le grand patron d'AFP qui dit ne pas être un grand adepte des journalistes qui font tout - texte, image, son - dans une même assignation. «C'est bon de savoir tout faire, dit-il, mais on ne peut pas tout faire à la fois.»

Au cours des prochaines années, l'AFP compte se développer au Brésil et en Inde, ainsi qu'en multipliant ses services de langue arabe. Le sport sera également au coeur de sa stratégie.

L'AFP multiplie également les associations avec d'autres médias. Avec le quotidien français Libération, elle a lancé un «comparateur de citations» pour la durée de la campagne présidentielle. Elle a également développé une application iPad avec Radio-France ainsi qu'un partenariat avec TV5 Monde pour la couverture des élections américaines. «C'est une voie appelée à se développer», assure Emmanuel Hoog.

Enfin, l'AFP mise aussi sur les réseaux sociaux. Une petite équipe de cinq personnes coordonne les comptes Twitter et Facebook depuis le siège social de Paris et environ 200 journalistes de l'AFP ont leur propre compte Twitter. «Nous avons été des pionniers, en 2009, lorsque nous avons élaboré une politique d'utilisation des réseaux sociaux, à un moment où Twitter n'était pas encore très populaire chez nous, explique Emmanuel Hoog. Mais depuis l'affaire DSK, on peut dire que Twitter a décollé en France et il fait bel et bien partie de nos outils de travail.»