À quel âge fait-on partie du public cible du magazine Le bel âge? C'est la question qu'on peut se poser en regardant la une du dernier numéro du mensuel. On y voit une femme aux cheveux gris, soit, mais qui a davantage l'air d'être dans la quarantaine qu'à l'aube de la soixantaine.

Le bel âge, qui s'apprête à célébrer son 25e anniversaire cette année, traverserait-il une crise d'identité?

«Si on ne se repositionne pas, on va mourir, reconnaît le rédacteur en chef du magazine, Jean-Louis Gauthier. Nos premières lectrices ont aujourd'hui autour de 80, 85 ans. Et la génération de leurs filles, dans la soixantaine, voit Le bel âge comme le magazine de leur mère. Il fallait donc repenser notre approche.»

Le problème, c'est que les femmes dans la soixantaine, qui constituent le public cible du Bel âge, n'ont pas envie de se faire dire qu'elles sont vieilles. «Les gens se voient toujours 10 ou 15 ans plus jeunes», observe Jean-Louis Gauthier. Il a donc fallu repenser la couverture du magazine afin de mettre en vedette des femmes plus jeunes.

«Les femmes qui approchent l'âge de la retraite aujourd'hui sont dynamiques, elles ont des projets, elles travaillent, elles voyagent. Elles ne veulent pas qu'on leur dise qu'elles approchent de la fin de la vie. Les baby-boomers sont carrément allergiques au mot «vieux».»

Dans les groupes de discussion organisés par le magazine, les femmes ont confirmé qu'elles appréciaient le contenu du magazine, ses articles, mais qu'elles ne voulaient pas être vues en train de le lire. Sacré problème.

Les lectrices du Bel âge ne sont pas les seules à fuir la vieillesse comme la peste; les annonceurs aussi. Si vous feuilletez Le bel âge, vous ne verrez pas les publicités de crèmes antirides qui inondent les magazines comme Elle ou Vogue, même si les femmes dans la cinquantaine et la soixantaine achètent ce type de crème. «Les grandes marques de produits de beauté comme L'Oréal ne veulent pas être là, affirme le rédacteur en chef. Quand on prononce le mot «vieillesse» en agence de publicité, la réaction est viscérale: ouache. Les gens font la grimace, on ne veut pas s'associer à ça.»

Même réaction de la part des personnalités publiques jointes par le magazine au fil des ans pour une longue entrevue ou un portrait. «Si je vous faisais la liste des comédiennes qui ont refusé de nous accorder une entrevue, et ce, même lorsqu'elles avaient 75 ans, vous seriez surprise, raconte Jean-Louis Gauthier. Elles ne veulent tout simplement pas être considérées comme vieilles, ce n'est pas bon pour leur image.»

Il y a un an, Le bel âge a même songé à changer de nom, puis s'est ravisé. «Cela aurait été comme repartir un nouveau magazine, et ce n'est pas un bon moment pour ça», estime Jean-Louis Gauthier.

En rajeunissant sa première page, Le bel âge se rapproche de Vita, une publication du même groupe de presse (TC Media) qui s'adresse aux femmes de 40 ans et plus - et qui a dû, elle aussi, lutter contre des préjugés tenaces.

«Au début, on savait qu'on allait essuyer des refus, et il y en a eu. Mais honnêtement, il y en a eu moins que ce que nous redoutions», explique Sylvie Poirier, qui a lancé le magazine et qui l'a dirigé durant plusieurs années. «Tout est dans la façon de photographier la personne, poursuit Sylvie Poirier, aujourd'hui directrice du développement des contenus chez TC Media. Maintenant, la plupart acceptent et sont très fières de dire qu'elles ont plus de 40 ans. J'espère que Vita les a aidées à assumer leur âge.»

Sylvie Poirier, qui a également dirigé le magazine Elle Québec, reconnaît toutefois que les annonceurs n'évoluent pas très vite quand il est question d'âge. «Ils ont des réticences, reconnaît-elle. Oui, ils veulent suivre les consommateurs, mais, en même temps, ils ont de la misère à lâcher cette image de jeunesse à tout prix. Cela dit, ça change. L'idée qu'une femme est finie à 40 ans tend à disparaître.» Heureusement.

Reste maintenant à la société (médias, annonceurs, lecteurs et lectrices de magazines) à accepter qu'une femme qui approche de la soixantaine a le droit de ressembler à une femme qui approche de la soixantaine.