Le cliché veut que plus rien ne soit tabou, de nos jours - ou, au contraire, que tout soit aseptisé. Musique barbare, deuxième album de l'outrancier Mononc' Serge et du groupe métal bruyant Anonymus, vient heureusement nous démontrer qu'on peut encore être offusqué et même scandalisé: Mononc' et Anonymus tirent sur tout ce qui bouge, y compris les «rejets», les vieillards et les adorateurs de René Lévesque. Bref, ils sont affreux, sales et méchants... et même orduriers, et même machos, et même cons. Étrange, cela fait du bien...

Dans la loge du Café Campus, lundi, où a lieu le lancement de Musique barbare, se tiennent, l'air de rien, deux «vétérans» de la musique québécoise: Mononc' Serge (alias Serge Robert, quand il prend ses médicaments...) compte 17 ans de métier, alors que le quatuor métal Anonymus, excellent décapant à tympans, approche de son 20e anniversaire... Manifestement, ce n'est pas en raison de leur longue expérience qu'ils chantent des chansons comme Chaque salope cherche un gros cave et chaque gros cave cherche une salope ou qu'ils s'inspirent des Beatles pour entonner Sous-marin brun (ce qui donne des «vers» comme: «Notre drummer s'appelle pas Ringo/Y s'appelle Araya pis y va faire un solo/Hostie qu'y tire, c't'hallucinant, man/Y tire ben mieux que Mark David Chapman» avant de conclure par «All you need is drogue» ...).

 

«J'avais vraiment envie d'un projet plus agressif, de chansons plus méchantes, explique posément Mononc' Serge, à une heure du lancement de Musique barbare. L'idée, c'est pas de défendre la violence, mais de la représenter. Et il y a une telle unanimité dans le politiquement correct, dans le «c'est pas bien de dire telle ou telle chose» alors que plein de monde pense telle ou telle chose, que j'ai pris du plaisir à frapper sur tout, sans la moindre petite parcelle de remords!» «Pis dis-toi qu'on a coupé une couple de chansons parce qu'on n'avait pas envie de les justifier», ajoute Oscar Souto, guitariste et chanteur d'Anonymus.

Elles devaient être trash rare, ces deux chansons-là... «Oui, mais en même temps, tu sais quelle est la question qu'on me pose le plus souvent? reprend Mononc' Serge. On me demande si j'ai déjà fait l'objet de poursuites (NDLR: Mononc' s'en est pris par le passé à Maman Dion, Sébastien Benoit, Jean Charest, l'ADISQ, les bed and breakfast, etc.). Eh bien, jamais! Parce que tout le monde s'en sacre, dans le fond.»

Ce qui ne l'empêche pas, comme auteur-compositeur de 243 chansons à ce jour, de peaufiner son travail: quand il a composé sa chanson René Lévesque (sur une musique qui reprend absolument tous les clichés du métal!), il a beaucoup écouté de Pantera, groupe métal américain: «Mais c'est aussi un groupe qui a une certaine vibe d'extrême droite, qui affirme des énormités, explique Mononc' Serge. Mon sujet, c'était pas René Lévesque, mais bien le culte dont il fait l'objet.»

Les personnalités-cultes, Mononc' connaît. Par exemple, André «Dédé» Fortin, chanteur et leader du groupe Les Colocs, dont Serge a été le bassiste pendant quatre ans. Justement, les Colocs et Dédé font l'objet d'un tournage, Dédé à travers les brumes, et le film devrait sortir... un jour. Qu'en pense Mononc'? «Ben, l'acteur qui joue mon rôle (NDLR: Yan Rompré), ça va me faire un bon «sub», un bon remplaçant (rires). En fait, j'en pense rien, j'irai pas le voir ou alors, très discrètement. Ce qui m'énerve un peu, c'est peut-être que ça me ramène à l'époque des Colocs. Et c'est loin pour moi, cette époque-là. J'ai jamais senti que les gens aimaient Mononc' Serge parce que j'étais un ancien Colocs, tu comprends?»

Métal académie!

Ce qu'on comprend, en tout cas, c'est que Mononc' Serge (paroles et musiques) et Anonymus (arrangements et réalisation) avaient le goût de fesser fort. «C'est Serge qui nous a parlé de reprendre la collaboration, explique Oscar Souto, d'Anonymus. Pendant un an et demi, il nous a envoyé des chansons... et disons que le dernier lot était particulièrement intéressant. On a enregistré le disque en quatre jours, live, avec tout le monde dans le studio.»

«J'ai contacté Anonymus parce que je trouvais que mon dernier disque, Serge blanc d'Amérique, était disparate, dit pour sa part l'alter ego fou de Serge Robert. Je voulais un album plus homogène (!!!). Ça faisait cinq ans qu'on n'avait pas travaillé ensemble (NDLR: sur l'album L'Académie du massacre). Et moi, le métal, la musique forte, ça me fait triper. En plus, ça nous permet de travailler dans plus de festivals (rires), à chanter des insanités. Nous, on fait pas du rock progressif, on fait du rock régressif!»

Mononc' Serge reprend, posément: «J'ai participé à plein de festivals, de rassemblements, de spectacles-bénéfice, et c'est ça qui m'a donné l'idée de la chanson Résistance festive (un texte que la décence et surtout le goût de garder notre emploi nous empêchent de citer). Parce que sous la bannière d'une bonne cause, c'est une occasion pour le monde de boire et de se rencontrer. C'était rendu que j'avais quasiment hâte à la prochaine catastrophe pour prendre une petite bière! C'est ça, le sujet de la chanson.»

«Serge s'en rend pas nécessairement compte, mais il fait des structures de chansons assez flyées, reprend Oscar, il écrit sa musique en pensant principalement à son texte. Nous, on est plus simples (rires), on veut des bons riffs, des bons solos, c'est tout. Mais il nous oblige à travailler autrement, c'est pour ça que c'est intéressant.»

Chacun ayant près de 20 ans de métier, comment voient-ils aujourd'hui le milieu de la musique? «C'est plus difficile qu'avant, le numérique a multiplié le nombre de groupes, c'est difficile de sortir du lot, estime Oscar Souto. Le métal est une musique très technique, mais on se rend compte qu'il y a plein de jeunes qui sont juste pas capables de jouer des notes: ils sont capables de les enregistrer, pis de les travailler avec leur ordinateur, tout seul chacun de son bord. Mais ils ne sont pas capables de jouer live, pis ensemble. Nous autres, oui! Mais c'est aussi difficile qu'à nos débuts.»

«J'ai pas le même point de vue qu'Oscar, rétorque Mononc' Serge. Le numérique a changé ma vie: sortir un disque, du temps du vinyle et au début des CD, c'était tout simplement impossible, ça coûtait trop cher. Tout est donc plus facile qu'avant. Le piratage aussi est plus facile, c'est sûr. Mais franchement, les gens qui ont le plus à perdre avec le piratage, c'est pas les artistes, ce sont les intermédiaires. Les artistes vont s'adapter, et mieux vaut être diffusé un peu que pas du tout, comme c'était le cas avant. C'est donc plus facile d'arriver à quelque chose aujourd'hui. Ce qui est plus difficile, c'est d'arriver tout court, d'en vivre!»

Justement, vivent-ils de leur art - si art il y a? Mononc' Serge, oui. Les gars d'Anonymus, eux, ont tous un emploi ou deux ailleurs. «S'il fallait que je divise ce que je fais en quatre, j'arriverais pas», lance Mononc'. Ben, comment vous allez faire pour diviser par cinq avec Musique barbare? Silence. Avant que Mononc' ne lance: «On divisera pas, c'est touttte!», parmi les hurlements de rire.