Il a suffi d'une pièce électronique au titre optimiste (Good World) et au rythme percutant pour que le DJ Dan Desnoyers, animateur au réseau Énergie et ex-VJ de MusiquePlus, devienne une célébrité au club Pacha d'Ibiza, puis dans les 25 autres Pachas de la planète party. Aujourd'hui, le DJ de 43 ans, qui vient de recevoir un disque diamant pour un million de disques vendus en carrière, partage son temps entre Ibiza, São Paulo, sa maison à Lachenaie et le club L'Aventure du Lac Simon. Portrait d'un animateur qui aurait voulu être un médecin et qui a fini par devenir Docteur... Party.

L'endroit ressemble à un entrepôt ou à un quai de gare, mais en réalité, c'est une usine. On n'y fabrique rien sinon du plaisir, du divertissement, du vent et de la fuite en avant. Tous les soirs, peu importe la ville ou le pays, les corps s'y entassent pour suer, dépenser leur trop-plein d'énergie ou d'angoisse et danser jusqu'à épuisement. Et au-dessus de la mêlée, réfugié sur une plateforme qui domine la piste de danse, tel un dieu sur son olympe, veillant sur la foule qui ondule, maniant les platines comme des toupies et faisant cascader et culbuter les rythmes électroniques, un roi moderne: le DJ.

 

Faire tourner des platines et s'arranger pour que le courant entre la musique et la foule monte, grimpe et s'enflamme est une science que Daniel Desnoyers pratique depuis sa tendre adolescence. À 12 ans, dans le logement familial, à l'intersection des rues Cadillac et Notre-Dame, le futur DJ s'enfermait dans sa chambre pour écouter CKMF et faire ses premiers mix de danse. À 14 ans, alors que la technologie informatique émergeait à peine des limbes, il mixait à la mitaine pendant des jours et des semaines sur des cassettes quatre pistes avant de proposer le fruit de son dur labeur à MusiquePlus. À 17 ans, il travaillait à temps partiel au Limelight, le temple de l'ère disco. Malgré cela, Daniel Desnoyers rêvait d'être... médecin. «En fait, ce qui m'intéressait dans la médecine, c'était de travailler avec des humains», me lance-t-il de la banquette du Plan B, avenue du Mont-Royal, où il est arrivé accompagné de Marie, sa blonde, et d'un jeune employé de sa compagnie D-Noy Muzik Inc.

Études en thanatologie

Arborant une veste de cuir et son éternelle barbichette, Dan venait de commander une mixture odorante de vodka et de pommes quand la conversation a bifurqué vers la médecine.

Bizarrement, cela ne m'a pas surprise qu'un type qui passe sa vie à faire danser des gens et à regarder des corps bouger, suer et parfois se liquéfier, ait déjà rêvé d'être médecin. Après tout, les médecins sont les mécaniciens du corps humain. Les DJ le sont aussi à leur modeste manière. Mais les études en médecine sont longues et coûteuses. Daniel Desnoyers n'avait ni l'argent ni la patience. C'est pourquoi en lieu et place, il s'est dirigé en... thanatologie. Pendant trois ans au cégep de Rosemont, Daniel Desnoyers a étudié le corps humain, mais au repos, pour ne pas dire au repos éternel. Il n'en garde pas un bon souvenir. «C'était une erreur de parcours», dit-il pressé qu'on change de sujet et qu'on laisse la mort et ses embaumeurs loin derrière lui.

Compte tenu du tournant que sa vie a pris, on se dit que Daniel Desnoyers a bien fait d'abandonner la thanatologie. Aujourd'hui, en effet, au lieu d'aller travailler au salon funéraire et d'être penché à la journée longue sur des cadavres, il se promène aux quatre coins de monde, anime une émission sur Énergie, tous les samedis à compter de 16h, et ne cesse de produire des compilations qui résonnent dans tous les sous-sols du Québec les soirs de partys. Sa plus récente compilation parue cet automne s'intitule In Da House. Sur la pochette rouge, on voit Desnoyers esquisser des pas de danse avec un lapin, qui est sans aucun doute un proche cousin du lapin Energizer. Desnoyers, qui est père de deux grands enfants de 17 et 18 ans, affirme que son énergie est pareille à celle du lapin et qu'elle n'est tributaire d'aucune substance chimique ou éthylique. Malgré les longues nuits dans les clubs, il affirme être dans une forme physique redoutable. Tout dernièrement à la Marche de 24 heures de Tremblant organisée par la Fondation Charles Bruneau, sur la dizaine d'animateurs qui marchaient chacun une heure, il a remporté la palme du marcheur le plus rapide.

Disque diamant

Mais au début du mois de décembre, c'est une autre sorte de palme qui l'attendait.

Sa nouvelle compilation In Da House était sortie depuis un peu plus de deux mois. Les ventes avaient franchi le cap des 12 000 exemplaires quand un représentant de DEP, sa compagnie de distribution, l'a appelé tout excité. «C'est pas des farces, Dan, si tu continues de même dans quelques jours, tu vas frapper le million d'albums vendus!»

Dan Desnoyers n'en croyait pas ses oreilles. Il savait que depuis la création de son étiquette en 1999, d'abord en association avec le producteur Donald K Donald, puis tout seul, il avait produit une trentaine d'albums de danse, mais il n'imaginait jamais qu'il atteindrait le chiffre magique d'un million.

«Je savais que je vendais beaucoup de CD surtout au Québec, mais un coup que j'ai vu les chiffres et constaté que sur un million, 880 000 CD avaient été vendus au Québec, j'ai compris que sans le monde d'ici, je n'étais rien.»

Reste que si les Québécois ont connu et adopté Dan Desnoyers, c'est d'abord à cause de MusiquePlus. Pendant près d'une décennie, à la belle époque de Varda, de Juliette Powell, de l'émission Bouge de là! et de la tournée DanseXpress, Desnoyers a fait ses armes et a bâti sa notoriété de DJ auprès des jeunes bougalous de 18 à 34 ans.

Dans les ligues majeures

Comme il avait de l'énergie et de l'ambition à revendre, il ne s'est pas contenté de son job à la télé, mais il a profité de la tribune pour élargir son champ d'action. En 2000, il crée la compilation Touchdown 2000 pour les cheerleaders des Alouettes. De 2001 à 2006, est DJ officiel des galas Interbox au Centre Bell. Jusqu'à ce moment, la renommée des Desnoyers restait locale, pour ne pas dire localisée. Mais comme Desnoyers avait maintenant sa propre étiquette, il a commencé à participer aux multiples foires internationales vouées à l'industrie de la dance music. Chaque année, on l'a vu débarquer au Winter Music Conference à Miami, au Amsterdance à Amsterdam, au Popkom en Allemagne et au Midem de Cannes où il s'est mis à acheter des titres autant qu'à vendre les siens. C'est à Cannes qu'il a présenté au porte-parole des clubs Pacha, le vinyle Good World qu'il venait de composer et de produire. Contre toute attente, non seulement le type du Pacha a aimé la pièce, mais il a décidé d'en faire la nouvelle chanson thème de tous les Pachas en 2006.

«Quand tu rentres dans le réseau des clubs Pacha, tu rentres dans les ligues majeures internationales, raconte Desnoyers. Ils ont 26 clubs dans le monde. Les salles contiennent entre 1000 et 1500 personnes. Ça coûte environ 100$ pour rentrer. Les décors changent tout le temps, les costumes des danseurs aussi. C'est la folie furieuse, mais pour un DJ, c'est la Mecque.»

Avec Mistress Barbara, la célèbre DJ italo-montréalaise, Dan Desnoyers est un des rares Québécois à avoir percé dans le réseau des clubs Pacha. Il raconte que la première fois qu'il a été invité au Pacha d'Ibiza, on lui a demandé de commencer avec trois pièces et de ne pas s'en faire si ça ne cliquait pas entre lui et la foule, un DJ maison attendait en coulisses pour venir à son secours. «C'est exactement le genre de pression que j'aime, blague Desnoyers. Et comme de raison, ils n'ont pas eu besoin de faire venir le DJ de la place. J'ai fait danser le monde toute la nuit. Dans les clubs, on dirait que les différences culturelles ne comptent plus. Pour vous donner un exemple, le mois dernier, je faisais danser le monde à São Paulo un soir et le lendemain, j'étais aux platines dans un club de Coaticook. J'ai fait tourner exactement les mêmes tounes et les gens ont tripé ici comme là-bas. Pour moi, c'est ce qu'il y a de plus gratifiant.»

Dan Desnoyers compte faire danser les gens pendant au moins encore 20 ans. Et pour donner du poids à ce souhait, il cite l'exemple de Giorgio Moroder, le père du disco, qui à 68 ans fait encore régulièrement la tournée des clubs. «Le jour où les gens vont arrêter de danser sur mes mix, je vais être triste. Moi, ça me prend du monde qui tripe sur ma musique pour être heureux.»

En janvier, Dan Desnoyers ira pour la première fois de sa carrière faire tourner ses platines à Cuba. En attendant, il était à Thetford Mines hier soir; il sera au Bierman's Club de Shawinigan ce soir. Et le soir du 31 décembre, alors que tout le monde s'éclatera sur la piste de danse du bar L'Aventure du Lac Simon dans l'Outaouais, Dan Desnoyers sera aux tables tournantes, heureux de voir des humains danser sur sa musique et content de constater qu'il est encore le maître incontesté de l'usine.