Douze hommes rapaillés peut être «une porte d'entrée» vers l'oeuvre de Gaston Miron, disait Vincent Vallières, peu avant la sortie du disque. Sa sincérité ne faisait aucun doute. Son raisonnement tenait la route. Mais il y a deux mois et demi, ça n'avait rien d'une certitude. C'était le voeu d'un chansonnier qui traîne L'homme rapaillé dans son étui de guitare.

Sauf que Vincent Vallières avait probablement raison. Douze hommes rapaillés est l'album francophone le plus vendu au Québec ces jours-ci. Devant La ligne orange de Mes aïeux, Joli chaos de Daniel Bélanger et loin devant le dernier Souchon. Il trônera en première position du palmarès qui sera publié diamanche dans notre cahier Expresso.

 

Un peu moins de 16 000 exemplaires avaient été vendus en date du 11 janvier. À titre de comparaison, Félix Leclerc, album hommage publié à la fin du mois d'août, s'est écoulé à un peu plus de 19 000 exemplaires à ce jour. Félix est un monument de la chanson, ses airs sont connus. Miron est aussi un monument, mais du petit milieu de la poésie. L'exploit qu'est en train d'accomplir le projet du compositeur Gilles Bélanger n'est pas banal.

C'est «exceptionnel», confirme Sonia Cesaratto, chez Spectra Musique. Le mot lui revient constamment en bouche, qu'elle parle des grandes qualités artistiques de l'album (compositions, réalisation) ou de sa vie commerciale. L'accueil critique, unanimement dithyrambique («une chose rare»), y est pour quelque chose, croit-elle. Mais ce n'est pas la seule raison. La critique vante souvent des disques qui, au bout du compte, se vendent fort peu. Dans ces cas-ci, elle croit que l'unanimité a «piqué la curiosité» de gens qui ne se seraient pas intéressés au projet. Le bouche à oreille et la radio de Radio-Canada auront fait le reste.

Guillaume Lombart, l'éditeur musical associé au projet, ne tombe pas des nues, lui. «Quand un disque compte de bonnes chansons, c'est bizarre, ça marche, ironise-t-il. Les bonnes chansons, c'est ce qui fait le succès d'un disque. Le problème de notre milieu en est un de qualité avant d'en être un de quantité.»

Il estime qu'à l'heure actuelle, l'accent est souvent mis davantage sur «l'image et le marketing» que sur «le son, la créativité». Et que les textes sont généralement pauvres. Il a raison. Ce n'est pas parce que les chroniqueurs musicaux sont illettrés qu'ils évoquent si peu les paroles des chansons, c'est parce qu'il n'y a souvent pas grand-chose à en tirer.

Or, c'est capital. «Ce qui fait qu'une chanson marche, c'est la musique, mais ce qui fait qu'elle dure, c'est le texte», estime l'éditeur. Guillaume Lombart doit savoir de quoi il parle, son catalogue compte des chansons âgées de plusieurs décennies (dont des titres de Gainsbourg) qu'on apprécie encore aujourd'hui.

L'épatant succès de Douze hommes rapaillés constitue un glorieux pied de nez à tous ceux qui disent des âneries comme «le public n'est pas prêt» à ceci ou cela. Il y a suffisamment de gens lettrés au Québec pour apprécier la poésie de Miron. Encore plus pour capter la poignante beauté des musiques composées par Gilles Bélanger et réalisées par Louis-Jean Cormier.

Rapaillé sur scène?

On n'a pas fini d'entendre parler de ce beau projet, c'est certain. Il donnera sans doute naissance à un spectacle, d'ailleurs. Personne n'ose le confirmer, mais c'est du sur mesure pour les FrancoFolies. C'est d'ailleurs la seule organisation, avec le Festival international d'été de Québec, qui a les moyens de lui donner vie scénique.

En passant, Spectra Musique partage sa ligne téléphonique et ses locaux avec... les Francos. Impossible de croire qu'ils n'ont jamais évoqué cette possibilité. Ne serait-ce que devant la machine à café.