Le titre de travail du nouvel album de Bruno Pelletier était Dix: après tout, c'est bel et bien le dixième de sa carrière. Et puis, d'autres artistes ont lancé des disques baptisés de chiffres et Pelletier a dû abandonner Dix pour se tourner vers autre chose. Autre chose, c'est toujours ce que le chanteur a fait, à sa manière, en 25 ans de carrière. Comme intituler son dixième disque Microphonium, lancé mardi prochain. Microphonium?

Microphonium, c'est le nom complet et scientifique du bon vieux micro, tel que le dictionnaire Littré de 1863 le rappelle. Mais aucune nostalgie dans le choix de ce titre pour Pelletier: «Je trouvais que ce mot évoquait bien l'idée d'un laboratoire, le laboratoire du chanteur, son espace de travail sur scène ou en studio, explique-t-il avec vivacité. La pochette aussi, c'est ça: on me voit face à plein de micros, pour exprimer la dualité entre le chanteur et cet instrument qu'il doit apprivoiser, ce fil conducteur vers le public, mais qui rappelle aussi l'art vocal, son perfectionnement... et même le combat entre l'image et la réalité.»

Il est en verve, Bruno Pelletier. Il répond à toutes les questions, les devance, digresse, revient sur son album, parle aussi bien de Karkwa (qu'il aime beaucoup) que du spectacle de danse urbaine qu'il a vu la veille, s'interroge, se répond, finit par lancer: «Je ne suis pas un excentrique, je suis un explorateur! Je suis un touche-à-tout vocal. Pour l'album, j'avais 20 tounes qui allaient dans 20 directions différentes, des fois plus rock, d'autres fois plus jazz ou vocal ou intime, mais c'est voulu. C'est ce que je suis, depuis 25 ans.» Un peu comme l'idée d'avoir fait appel aussi bien à Pierre Flynn qu'à Sylvain Cossette ou Daniel Boucher quand est venu le temps de faire Dracula? «Exactement: ça va dans tous les sens, mais ça marche.» Parfois, quand on s'entretient avec le chanteur, réalisateur, également auteur et compositeur à ses heures, on a l'impression aussi de discuter avec un entrepreneur (désolée pour toutes les rimes en «eur» ...). Ou, en tout cas, avec un gars dont la tête fourmille d'idées et de visions et qui n'aura pas assez d'une vie pour tout accomplir. Le genre de gars à fonder sa propre compagnie de disques dès 1992 pour son tout premier album («quand je pense que le monde croit que j'ai une grosse machine derrière moi...»), à risquer beaucoup et à miser sur des idées, à se lancer dans le vide et à retomber sur ses pieds... souvent, mais pas tout le temps.

«J'ai essayé toutes sortes d'affaires dans ma vie, concède l'homme de 47 ans. Mais c'est comme ça que j'ai appris qu'on ne peut pas tout prévoir non plus. Prends les photos pour la pochette: on travaillait avec l'idée d'avoir dix micros, comme dix chandelles; on fait des photos, des photos, des photos pendant cinq heures, et on sait que c'est pas ça, ça marche pas. Quinze minutes avant la fin de la séance, je vois une chaise qui est là par hasard, je la prends, je m'assois, je fixe les micros et paf, ça marche. Moi, c'est ces 15 minutes-là que j'aime.» Résultat: il y a sept micros sur la pochette et une mise en scène qui «frappe dans le dash». «J'avais le goût de quelque chose de plus stylisé, je ne sais pas pourquoi, mais je ne m'étais jamais vu comme ça. Alors, j'ai dit: allez-y!» Encore un saut dans le vide...

Le concept de ce dixième album? «Un survol de tout ce que je suis. As-tu remarqué que je commence la toute première chanson (J'me voyais plus) en prenant mon souffle? Elle résume vraiment bien toutes les phases par lesquelles je suis passé dans ma vie: quand je parle d'avoir une "pieuvre dans le ventre", je sais très exactement à quoi je fais référence.»

«Même si j'ai écrit seulement trois des douze chansons, il y a beaucoup de "je" dans tous les textes et je les assume. Dans des morceaux comme Je sais nous ou L'appel aux toujours, c'est à ma blonde que je parle.»

«J'avais donné un seul mot d'ordre à tous ceux qui étaient intéressés à travailler avec moi: surprenez-moi, bousculez-moi. Disons qu'une chanson comme Love amour amore, que mon ami Michael (Dozier) a écrite en mettant bout à bout le mot «amour» dans plus de 100 langues différentes - 100 langues, tu te rends compte du travail? -, ça surprend d'aplomb! En plus, Michael est un ami que je connais depuis l'époque où on faisait les bars ensemble dans les années 80 (NDLR: Dozier est le concepteur du spectacle Esquire Show Bar). Comme le chanteur d'opéra Francesco Verrecchia, avec qui je chante L'espoir (Speranza): c'est une histoire d'amitié depuis 25 ans, Francesco et moi. Et la chanson est, en même temps, un clin d'oeil à Miserere et au Temps des cathédrales

L'homme qui chantait les femmes

Daniel Lavoie, Serge Lama, Frédérick Baron, Catherine Major, Michel Cusson et bien d'autres signent textes ou musiques sur cet album, où il est question d'amour, bien sûr, mais aussi beaucoup de femmes - et de façon surprenante. C'est le cas, par exemple, de la chanson Deliverrance (eh oui, comme délivrance et errance mêlés): «C'est une chanson sur une femme qu'on abandonne alors qu'elle arrive à la quarantaine, explique Pelletier. Sophie Hartung l'avait écrite à partir du roman La maison étrangère d'Élise Turcotte, Philippe Noireaut en avait fait la musique et c'est moi qui l'avais créée dans le spectacle Accordez vos plumes (Festival international de la littérature, en 2004). Depuis ce temps-là, je la gardais dans mes tiroirs, je tenais à l'endisquer un jour. Elle est dure et magnifique... Et je trouve qu'elle est plus forte, peut-être, chantée par un homme. Comme si je voyais ma soeur ou ma grande chum qui souffrirait...»

Et Jusqu'à la dernière femme, où il est question de Mère Teresa, Lady Di et... George Sand? «D'abord, pourquoi est-ce que je ne pourrais pas chanter le nom de George Sand, hein? Ensuite, c'est une chanson qui part de notre mère et qui va jusqu'à toutes les plus grandes femmes du monde, et le texte de Fred (Frédérick Baron) est superbe, maudit que c'est bien écrit. Encore là, interprétée par un gars, je trouve qu'elle prend un autre sens!»

Certaines de ces chansons, ainsi que tous les succès de Pelletier, devraient figurer dans le spectacle qu'il présentera en avril au Cabaret du Casino de Montréal, suivi d'une tournée: «Jusqu'ici, explique-t-il, j'ai toujours fait des shows avec une mise en scène parce que Peter Gabriel est mon idole et qu'il faisait des spectacles de cette façon. Mais là, j'ai été voir Billy Joel et je l'ai vu interpréter 90 minutes de chansons as is, quasi comme dans leur version originale, et ça a été un super moment. Alors, cette fois, ça va être ça, mon spectacle, juste mes tounes et un band. C'est de ça dont j'ai le goût, sans tout prévoir, sans tout placer.»

Microphonium a également été l'occasion pour Pelletier de renouer avec l'internet. Il y a une dizaine d'années, il avait été l'un des premiers artistes québécois à avoir un site et un guest book: «Mais j'avais tout stoppé, à l'époque, c'était compliqué, et puis, il y a eu des dérapages... Mais là, les plus jeunes de mon équipe m'ont convaincu d'avoir, pour la première fois, un site sur MySpace et sur Facebook. Eh bien, peux-tu croire qu'on a eu 16 000 clics en une semaine? Pas pire, hein? Les gens m'ont posé plein de questions, j'ai répondu... Mais ce qui m'a vraiment jeté à terre? Eh bien, dans les tout premiers commentaires, il y en avait plusieurs qui ont écrit: "All right, le guest book est ouvert de nouveau!" Wow... Ça non plus, je l'avais pas prévu!»