Il y a 40 ans, John Lennon et Yoko Ono débarquaient à Montréal pour y tenir leur mythique bed-in. Leur séjour, du 26 mai au 2 juin, fut l'un des plus grands événements en faveur de la paix. Le point culminant de ce happening fut l'enregistrement de la chanson Give Peace a Chance dans la suite 1742 de l'hôtel Reine-Elizabeth qu'occupèrent les amoureux. En attendant l'ouverture de l'exposition Imagine - La ballade pour la paix de John et Yoko, le 2 avril prochain au Musée des beaux-arts de Montréal, La Presse a rencontré Yoko Ono à New York.

Q Qu'est-ce que ce retour lié au bed-in signifie pour vous, comme artiste et être humain?

R Montréal représente pour moi de très forts et beaux souvenirs. Penser à Montréal, chaque fois, me réconforte à propos des choses de la vie. La raison, c'est que nous y avons passé un moment fort agréable et passionnant. Pour l'époque, nous avons fait quelque chose d'audacieux (rires). C'était pratiquement comme une lune de miel, quelque chose de très bon.

Q L'événement a été fort médiatisé. Comment avez-vous vécu cette intimité partagée avec les journalistes et le public?

R Il y avait beaucoup de médias, mais nous y étions habitués. Ce qui nous a surpris, c'est que les gens viennent s'asseoir sur le lit avec nous. Je pensais qu'ils garderaient leurs distances, mais non. C'était emballant. Pour nous aussi, vraiment. Il faisait un temps merveilleux et il y avait cette pleine lune le soir dans un ciel sans nuages. Un très bon signe.

Q Et c'est là que vous avez enregistré la chanson Give Peace a Chance.

R Cela s'est fait d'une façon si douce et décontractée. Les médias ont été très gentils. La presse écrite et la radio étaient toujours présentes sans être envahissantes. Les gens et les fans étaient toujours là à l'extérieur. On sentait leur présence et c'était un très bel échange d'amour. À l'intérieur, les gens qui travaillaient étaient très gentils. J'y étais à l'aise.

Q Après 40 ans, est-ce que vous croyez que votre message de paix a été bien compris, qu'on l'a suffisamment entendu?

R Quand nous avons décidé de soutenir la paix à l'époque, peu de gens le faisaient. Il y en avait, mais ce qui s'est passé à l'hôtel, c'était comme... wow! On sentait que quelque chose de différent venait de se produire. Des gens plus âgés nous en voulaient, mais les jeunes comprenaient vraiment ce qu'on faisait et on a senti cette connexion avec eux.

Q Toute votre oeuvre comme artiste visuelle, notamment, est basée sur la paix. Est-ce qu'un bed-in aurait le même résultat aujourd'hui?

R En 1969, nous n'étions pas acceptés par tous, certainement pas dans tous les médias, mais aujourd'hui, le message est passé. Près de 99% des gens sur la Terre veulent la paix dans le monde. Ce n'est que 1% de la population qui pense que la solution des problèmes passe par la violence. Leurs intentions ne sont pas nécessairement toujours mauvaises, mais nous croyons que leur façon de changer le monde par la confrontation est destructrice.

Q Vous gardez toujours espoir. Est-ce que cela a quelque chose à voir avec l'élection de Barack Obama?



R Certainement. L'espoir est très grand au sein de la population. Ce président donne de l'espoir au monde entier, pas seulement aux Américains. Mais nous devons lui donner du temps. Nous sommes si impatients. Je crois aux mouvements populaires, provenant de la base. Au sein des groupes progressistes, au lieu de seulement critiquer, nous devrions nous concentrer sur les objectifs et les appuyer. Nous devons nous entendre entre nous. Et le soutenir, lui. Même d'un point de vue spirituel.

Q Vous ne vous impatientez jamais devant les changements qui tardent. Ça ne vous choque pas?

R Nous traversons une période difficile, mais nous ne pouvons nous permettre aucune colère. Parfois, je me sens frustrée, mais ce n'est d'aucune aide. La colère est mauvaise pour votre santé aussi. Imaginez l'impact de la colère sur le monde. Nous sommes tous dans le même bateau et si nous nous abandonnons à la colère, il risque de chavirer. Il faut être prudent. Quand John est mort, j'étais si désespérée. Je me suis sentie vieille et fâchée longtemps. Un jour, je me suis vue dans le miroir et je me suis dit que ça n'allait pas. Cette vision a tout changé pour moi. Tout tourne autour de la façon dont on voit et on ressent le monde.

Q L'exposition au Musée des beaux-arts de Montréal montrera plusieurs de vos installations et sculptures qui font réfléchir sur la paix, mais en voyant des extraits du catalogue, on peut penser qu'elle parle aussi de votre histoire d'amour avec John Lennon?

R Oui. Nous sentions tellement d'amour l'un pour l'autre que nous pouvions le partager avec le reste du monde. Nous étions très chanceux. Aujourd'hui, la situation est chaotique dans le monde. Les gens courent constamment pour régler leurs problèmes. C'est éreintant. Sans amour, c'est impossible d'y parvenir.

Q Avant même que le mot existe, vous étiez, dans vos performances et vos installations, passée maître dans l'art de l'interaction avec le spectateur. Avec Telephone Piece (un téléphone blanc sera exposé au Musée par lequel les visiteurs seront en contact direct avec l'artiste), vous leur parlez de quoi?

R (rires). La plupart des gens qui décrochent l'appareil ne croient pas que c'est moi. Est-ce que c'est bien vous ? disent-ils. Plusieurs raccrochent parce qu'ils en doutent. D'autres me demandent si je les enregistre. Ce ne sont pas de longues conversations, mais juste le fait d'entrer en contact fait du bien.

Q Vous faisiez partie d'un mouvement d'artistes très engagés dans les années 60. Est-ce que l'engagement des créateurs est toujours nécessaire, pertinent?

R Tout à fait. C'est une des raisons pour lesquelles le nouveau président a été élu. Les artistes sont aussi là pour rappeler aux gens à quel point le monde et la vie peuvent être beaux. Les jeunes y arrivent plus facilement. Quand vous ressentez profondément cette beauté du monde, vous restez jeune.

Q C'est à cette époque que vous avez fait votre première visite à Montréal. C'était avec John Cage. Vous en souvenez-vous?

R Oui, c'était en 1961 lors d'un festival d'arts et de musique. Pour la première fois, il était écrit dans mon passeport que j'étais compositrice. J'étais enfin reconnue et ça m'a fait plaisir. Je ne suis pas retournée autant que j'aurais voulu, mais je suis très heureuse d'avoir pris part aux discussions sur le spectacle Love du Cirque du Soleil.

Q Vous êtes une pionnière de l'art éphémère et des happenings comme expressions de la vie. Personnellement, que souhaitez-vous que les gens retiennent de vous?

R Comme ils le souhaitent. (rires). Je n'ai aucun contrôle là-dessus. La chose la plus importante pour moi a toujours été de faire de mon mieux dans cette vie. Ne pas trop regarder en arrière, ni en avant. La passé et l'avenir sont dans le présent.

Q Et comme artiste?

R Je m'adresserais à mes collègues artistes pour leur dire que nous sommes très privilégiés d'être des artistes. Mais n'importe qui peut devenir un artiste. Chaque individu a cette part de créativité et de sensibilité en lui.

Q Est-ce que les gens vous accusent toujours d'avoir été la cause de la rupture des Beatles?



R Les gens le disent encore. Vous savez, peut-être allaient-ils se séparer de toute façon avant je ne sois là. Mais si je l'avais fait intentionnellement, si j'avais mal agi, je le sentirais au fond de moi. Je me sentirais coupable et triste. Ce n'est vraiment pas le cas.

Q Chez ceux qui le disent, on a l'impression qu'il s'agit d'une reconnaissance de l'importance primordiale de John au sein des Beatles, non?

R Je crois qu'il était le Beatle le plus important. Il l'est toujours. Son message l'est toujours et, dans ce sens, il est toujours vivant.

Q Vous sentez toujours sa présence?

R Oui, beaucoup. Et je pense qu'il est totalement heureux de cette exposition, tout comme moi. Nous y étions ensemble et c'était le plus beau moment de notre vie. C'était magnifique.