Deux ans après avoir été déclaré «groupe montréalais à surveiller», le duo électro-pop-rap Thunderheist lance enfin son premier album, éponyme, sur le label Big Dada/Ninja Tune. Entrevue avec le producteur Grahm Zilla, à temps pour le concert du groupe samedi soir, au Club Soda, dans le cadre du Exclaim! Canadian Tour.

Thunderheist est un accident de parcours. Un bel accident. Pas reposant, hyper-dansant, dans l'air du temps. De Toronto où le producteur montréalais exilé Grahm Zilla prend notre appel, le duo (qui comprend la rappeuse/chanteuse Isis) s'octroie quelques jours de repos bien mérités avant de reprendre la route.

«En 2005, j'étais las de la scène hip-hop montréalaise, raconte le DJ, remixeur et producteur Grahm Zilla à propos de la naissance de Thunderheist. Question d'attitude: ce n'était pas le fun et on se faisait regarder de travers si on avait l'air de s'amuser. Et puis, il n'y avait pas assez de filles dans les partys...»

Thunderheist est alors devenu le projet secret de ce DJ bien en vue de la scène hip-hop locale, ex-concurrent à la réputée compétition de Turntablists DMC Championship. Si secret, en fait, qu'il n'avait osé en glisser mot, pas même à cette MC Isis qu'il aidait à concevoir un premier album solo.

C'était en 2006. «Même mes amis n'en savaient rien. C'était totalement anonyme. J'ai envoyé des chansons à d'autres DJ, notamment les gars de Masala [l'émission de musiques urbaines internationales à CISM], ils ont d'ailleurs été les premiers à diffuser ma musique. Sauf qu'ils en voulaient davantage, et ils voulaient savoir qui j'étais, quels étaient mes plans.»

Grahm, coquin, leur a alors inventé une histoire de A à Z. Et s'est lui-même pris dans son piège. «Tout, j'ai tout inventé: qu'on était un groupe, qu'on allait bientôt monter sur scène pour donner des concerts... Les gars de Masala ont tout raconté en ondes!»

Attendez, ce n'est pas tout. En secret toujours, Grahm bosse sur le remix d'un titre d'un collègue musicien. Sauf qu'au lieu de lui envoyer le fichier, il l'envoie par erreur à Isis... Il était certain que ça allait mal tourner. Qu'elle ne voudrait plus lui parler, lui qui bossait sur tout autre chose alors qu'il devait trafiquer des beats rap pour son album à elle.

C'est tout le contraire qui est arrivé. Isis a saisi le remix, a enregistré quelques pistes de voix là où ça pouvait aller dans la chanson et l'a renvoyée au musicien gaffeur. «Ça sonnait bien! Pour la première fois, je sentais que je tenais un projet qui pouvait me permettre de me faire connaître.»

Quelques mois plus tard, le collectif montréalais Peer Pressure allait présenter la première performance scénique du duo. La hype allait faire le reste: Thunderheist, authentique machine à party carburant aux gros beats gras qui ont fait la renommée des Spankrock, Diplo, Ghislain Poirier et autres Santigold, pouvait aspirer à une renommée internationale.

Alors, pourquoi avoir mis autant de temps à lancer un album, surtout que ces bombes de pistes de danse, les Anthem, Jerk It et Sweet 16 sont connues des fans depuis au moins un an et demi? «Honnêtement, nous n'avions aucun plan. On a composé des chansons, juste pour voir si ça marchait, et on attendait de voir ce qu'on allait nous proposer - ni Isis ni moi n'avions aucune expérience d'affaire dans ce métier. Nous sommes donc partis en tournée, c'est ce qui a bouffé tout notre temps et notre énergie.»

Quelques soucis administratifs - notamment, le visa de la chanteuse Isis, d'origine nigériane, qui venait à échéance - ont forcé le duo à cesser de tourner, et lui permettre d'enregistrer enfin ce premier disque pour Big Dada.

«Pour tout dire, nous sommes fiers de l'album, mais nous sommes déjà rendus ailleurs, musicalement. Nos nouvelles chansons sont moins rappées. Isis a une belle voix, elle a davantage envie de chanter que de rapper. C'est motivant pour elle, et de mon côté, j'ai envie d'écrire des chansons, pas seulement des pistes instrumentales. En tout cas, nous n'attendrons pas deux ans avant de lancer un prochain album.»