Soirée à saveur internationale aujourd'hui au festival MUTEK. Officié par Ghislain Poirier, l'événement Bounce le monde met en vedette les Chiliens d'Original Hamster, le Brésilien Nego Moçambique, les Berlinois Jahcoozi et les Mexicains Bostich & Fussible qui proposent un mariage inédit entre techno, house et norteño, style de chanson populaire de la région nordique du Mexique.

«Tijuana a d'abord été une ville de rock», commence par expliquer Jose «Pepe» Morales, alias Fussible, l'une des figures en vue de la scène électro mexicaine. «À cause de la proximité avec la frontière états-unienne, les modes et les courants musicaux ont toujours beaucoup circulé. Santana y a même habité, dans les années 70!»

Les années 80, elles, ont suivi les courants planétaires. «À Tijuana, j'ai grandi en écoutant Joy Division, New Order, The Residents, les groupes new wave. C'est comme ça que j'ai découvert la musique électronique, qui est devenue très populaire à cette époque.»

DJ pendant des années, Fussible et Bostitch se sont intégrés à une communauté de musiciens, d'artistes graphistes et de vidéastes qui partageaient une vision et le goût du risque, menant à la création du Nortec Collective il y a une dizaine d'années. L'excellent Murcof fait d'ailleurs partie de la famille. «On a commencé à être très populaires à Tijuana et dans la région, puis à Mexico», au moment où le son du collectif gagnait en personnalité.

Country mexicain

La musique norteño? Pas son truc. Pas au début, en tous cas: «C'était la musique de nos parents, dit-il. D'ailleurs, elle n'avait jamais été vraiment populaire à Tijuana. Ce sont les cartels qui l'ont importée chez nous.»

Ces cartels qui, depuis quelques années, font la pluie et le beau temps dans certaines régions du nord du Mexique - dont Tijuana, ville la plus importante de l'État de la Basse-Californie (près de 1,5 million d'habitants), stratégiquement située sur la frontière, à une trentaine de kilomètres seulement de San Diego.

Si les courants musicaux ont su traverser la frontière, il en est allé de même de la drogue et des armes illégales. D'où les troubles qui font les manchettes depuis des mois... Or, c'est en gagnant de l'importance dans la région de Tijuana que ces cartels auraient popularisé la musique norteño, qu'on pourrait qualifier de «country mexicain», explique Fussible.

« Le norteño est né de la fusion des cultures mexicaine et européenne il y a longtemps - comme pour le country américain, le rythme du norteño est celui de la polka. Et cette musique avait une fonction à l'époque: les chanteurs rapportaient les nouvelles avec ces chansons. Aujourd'hui, des barons des cartels «embauchent» des chanteurs norteño pour annoncer des meurtres ou pour vanter leurs exploits (on appelle ce sous-genre les «narcocorridos»). Pour ces musiciens, c'est très tentant d'accepter de tels contrats, parce que c'est payant.»

Et alors que la «nouvelle cumbia « intéressait les DJ et producteurs électroniques, Bostitch et Fussible ont commencé à expérimenter avec la musique norteño, « la musique des classes populaires». Le résultat, tel que découvert sur l'album Tijuana Sound Machine, est fascinant: plus techno que chaloupé dans la structure rythmique, il emprunte les couleurs régionales typiques. Ce soir, le duo invite sur scène d'authentiques musiciens norteño - clarinettiste, accordéoniste et la guitare traditionnelle à 12 cordes.

«Au début, ils étaient embarrassés de jouer avec nous, ils croyaient qu'ils feraient rire d'eux... Mais l'accordéoniste, qui fait partie de La Tradition del Norte, un groupe populaire, a accepté d'emblée de participer à notre projet.» Avez-vous dû les convaincre que vous n'étiez pas un cartel? «On a d'abord vérifié qu'ils n'avaient jamais eu de contrats de ce genre... Ils savaient qu'on n'était pas des criminels - on est seulement un cartel de musique.»

Et soyez certains que c'est de la bonne.

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La soirée Bounce le monde, ce soir au Métropolis, dans le cadre de Mutek.