Je ne compte plus les fois où, en 12 ans de journalisme musical, un artiste m'a lancé avec un je-ne-sais-quoi de dévot dans la voix que la musique était un langage universel. Une suite d'accords plaqués sur un piano ou une mélodie grattée à la guitare constituent peut-être une seule et même langue universelle, c'est vrai. Tant que personne n'a la drôle d'idée de mettre des paroles dessus.

Comme on l'a vu au cours des derniers jours, dès qu'on met des mots sur la musique, on prend le risque d'ériger une clôture... et de se retrouver du mauvais bord. Bloodshot Bill et Lake Of Stew, les deux artistes anglophones qu'on pourra entendre à L'Autre Saint-Jean, l'ont constaté. Invités à célébrer la Fête nationale dans un parc de Rosemont, ils ont failli être mis dehors parce qu'ils chantent en anglais.

Je suis le premier à croire que la Fête nationale du Québec doit servir à narguer le fantôme de Lord Durham, à lui signifier que, 170 ans après son célèbre rapport, il s'est fourvoyé en pensant pouvoir assimiler facilement les Canadiens français. Célébrer en français ce jour-là, c'est une manière de dire: "Coucou! Nous sommes encore là!"

Si j'étais DJ à la Saint-Jean, je ferais donc tourner pas mal de chansons en français. Comme C4, le producteur de L'Autre Saint-Jean, je ne me gênerais quand même pas pour faire tourner des morceaux en anglais. Probablement pas Lake Of Stew et Bloodshot Bill, mais d'autres artistes d'ici. Et je me ferais un bonheur de mettre en valeur les "musiques du monde québécoises" (quelle drôle d'étiquette). Pas pour être poli, pour le plaisir.

Si j'étais DJ à la Saint-Jean, je ferais tourner les incontournables que vous imaginez - Piché, Séguin, Bélanger, Beau Dommage, etc. -, mais aussi des chansons comme celles-là:

Le tour de l'île par Karkwa: relecture poignante d'une chanson fondamentale de Félix.

Le petit porte-clé par La Bottine Souriante: pour le mélange de voix masculines et ce tintement discret qui évoque le piano à pouces africain.

La vi ti nèg par Muzion: non, la vie n'est pas facile, c'est pour ça qu'on danse sur Muzion.

Piwouli de Luck Mervil: pour le délicieux groove haïtien et entendre Luck Mervil au sommet de sa forme.

Le grand cerf-volant par Ariane Moffatt (album Station C): du Gilles Vigneault en version dub? Fallait oser. Ça plane pour nous!

Mi Vanidad de Lhasa: pour la passion et les deux mots en français, tout petit clin d'oeil à la diversité montréalaise.

Au sortir du labyrinthe par Vincent Vallières: interprétation extraordinairement naturelle d'un poème de Miron.

Corazon Volador par Soraya Benitez: pour avoir le plaisir de voir mes invités s'étonner de reconnaître Le coeur est un oiseau de Desjardins.

No Cars Go par Arcade Fire: entre autres pour la montée dramatique, la charge émotive et la finale chorale.

Loopita de Jorane: si on peut célébrer dans toutes les langues, ça inclut les langues inventées, non?

J'm'en r'tourne par Dany Placard: parce qu'elle me donne l'impression que je viens de Chicoutimi moi aussi.

Lucille par Les Trois Accords: un plaisir niais constamment renouvelé.