«On aime ça quand les anglos chantent en français», a dit Laurent Saulnier, vice-président à la programmation des FrancoFolies, la semaine dernière. Cette année, ils seront quelques-uns à le combler d'aise, de Martha Wainwright à Paul Cargnello, en passant par Thomas Hellman et le groupe punk hardcore The Sainte Catherines. Pourquoi?

Martha Wainwright a déjà dit qu'à Montréal, il fallait qu'elle chante au moins une chanson en français. Aujourd'hui, c'est devenu pour elle un automatisme, qu'elle chante en Espagne ou en Angleterre.

«J'ai compris l'importance de chanter en français à Montréal quand j'ai quitté Montréal, affirme celle qui vit à New York depuis une dizaine d'années. Quand je suis revenue et que j'ai constaté que les Montréalais étaient mes fans les plus loyaux, et que la plupart étaient francophones, je me suis dit que si les francophones trouvaient quelque chose dans ma musique anglophone, je pouvais bien moi aussi trouver quelque chose dans la musique francophone.»

Martha et Rufus Wainwright ont grandi dans un milieu où la musique prenait beaucoup de place. La grande chanson américaine, bien sûr, mais aussi celles des cahiers de La bonne chanson et la chanson française ou québécoise. C'est dans la maison de leur mère Kate McGarrigle que Martha a connu Piaf et que Rufus a entendu du Vigneault dont il a souvent chanté Quand vous mourrez de nos amours.

«C'est très beau ce que Rufus a fait, très émouvant, très touchant, nous a confié Vigneault l'an dernier. On sent le passage d'une langue à l'autre par l'accent, mais l'accent n'embarrasse pas. On sent que quelqu'un d'étranger à la chanson a trouvé là un beau véhicule pour exprimer ce qu'il ressent: l'amour, la tendresse, le doute, l'incertitude et la mémoire. Et ça, c'est l'idéal dans l'interprétation.»

«C'est sûr qu'il y a des chanteuses francophones qui auraient pu reprendre les chansons d'Édith Piaf plutôt que moi, mais justement, ce n'est pas ce que voulait (le réalisateur) Hal Willner, renchérit Martha Wainwright. Il voulait quelqu'un qui y mette l'effort. Ce n'est pas facile, j'accroche sur les paroles, ce n'est pas complètement naturel. En français, il y a souvent beaucoup plus de mots, alors il faut aller plus vite (rire). On n'a pas toujours le temps d'étendre les mots dans la mélodie, il faut sortir les mots. Je dois me servir davantage de ma bouche pour la prononciation. C'est plus physique!»

Une question d'identité

Si les Montréalais Paul Cargnello et Thomas Hellman chantent en français, c'est aussi une question d'identité, d'appartenance à leur ville.

«Une bonne partie de mes amis et un énorme pourcentage de mes fans sont francophones, ça vaut la peine de leur donner quelque chose en retour. Pour moi, c'est simplement la réalité du Québec», dit Cargnello qui a vu dans l'invitation qu'on lui a faite de chanter à la Fête nationale en 2008 une célébration de la diversité québécoise.

Né d'une mère française et d'un père américain, Hellman a lancé deux disques principalement en anglais avant de lancer les albums L'Appartement et Prêt, partez. «Je ne me considère pas comme un anglo quand je chante en français, précise-t-il. Dans tous mes disques, il y a une part de bilinguisme: il y a toujours une langue qui domine, mais l'autre est là en arrière-plan.»

Hellman a fait une maîtrise sur le bilinguisme dans l'oeuvre de Samuel Beckett. Il s'intéressait surtout au rapport entre le bilinguisme et le sentiment d'identité. «Si je vous parle en français, je suis quelqu'un and if I start speaking English, I'm somebody entirely different, dit-il C'est la même chose au niveau de la création: le passage d'une langue à une autre ouvre sur énormément de possibilités de création. C'est comme changer d'instrument de musique, comme passer d'un outil de création à un autre.»

Cargnello ne le cache pas, son plus grand défi est d'écrire en français: «La grosse différence, c'est qu'en anglais, je suis capable de briser les règles, de jouer avec les thèmes, de chercher la complexité. En français, je recherche toujours la simplicité. Et puis parfois mes références littéraires ne marchent pas en français.»

Mais Cargnello, qui donne souvent des spectacles au Canada, affirme que chanter en français lui ouvre des portes plutôt que de lui en fermer. Il se méfie aussi des idées toutes faites selon lesquelles le français ne conviendrait pas au rock. «Je trouve que tout est possible, dit-il. Jean Leloup est un rockeur qui a trouvé une façon de chanter en français qui marche très bien. Un jour, j'ai voulu faire une chanson de blues en français et quelqu'un m'a dit que ça ne marcherait pas. C'est la guerre, l'une des chansons les plus fortes de mon album, est un blues.»

Thomas Hellman n'a pas non plus renoncé à l'anglais. «Je ne peux pas vivre ou m'exprimer juste dans une langue, j'aurais l'impression de délaisser une partie de moi, dit-il. Le passage au français m'a beaucoup aidé à me libérer de mes influences, à repousser mes propres limites. En ce moment, je suis en train d'écrire et beaucoup de textes sortent en anglais. Après deux albums francophones, je sens le besoin de retourner à l'anglais.»

Un soir seulement

Depuis 10 ans, The Sainte Catherines chantent leur punk hardcore en anglais et on ne compte plus les tournées de ce groupe montréalais mi-franco, mi-anglo aux États-Unis et en Europe. Pour fêter leurs 10 ans, ils ont décidé de traduire en français leurs chansons les mieux connues pour un show unique aux FrancoFolies.

«Musicalement, le punk peut fonctionner en français, dit le guitariste Marc-André Beaudet. Mais au départ nous avons été influencés par les groupes américains et nous avons voulu nous intégrer à cette scène-là. Aujourd'hui, Malajube chante en français dans un réseau plus anglophone, mais à l'époque, on n'aurait pas pu faire autant de tournées et signer avec le label américain Fat Wreck Chords en chantant en français.»

Mais pour un soir seulement, aux Francos, l'idée de traduire leur répertoire en français pour remercier leurs fans de la première heure leur a plu.

«Je suis curieux de voir comment ça va se passer, dit-il Marc-André Beaudet. Souvent dans les spectacles extérieurs, les gens chantent beaucoup; ça va être drôle de leur voir la face quand ils vont essayer d'anticiper les paroles en les traduisant sur le coup.»

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Jane Birkin. Théâtre Maisonneuve, 7 août, 20 h.

Paul Cargnello. Scène Le Lait, 5 août, 19 h et 22 h.

Thomas Hellman. Scène Le Lait, 8 août, 19 h et 22 h.

The Sainte Catherines (Marc-André Beaudet). Zone Molson Dry, 7 août, 23 h.