C'était, pour une majorité des mélomanes réunis au parc Jean-Drapeau, le premier service du grand repas musical de la soirée : The Roots, de retour à Montréal et en aussi bonne forme qu'à l'habitude.

Six musiciens sur scène, parmi lesquels l'incontournable ?uestlove à la batterie et un joueur de sousaphone, histoire d'ajouter une autre couche de basses aux grooves entraînants du groupe.

Du Roots solide, comme on l'apprécie, qui malaxe les époques de la musique populaire afro-américaine, qui réinterprète ses classiques (Proceed, du deuxième album du groupe, ne manquait pas de ressort durant la première portion du concert) tout en échappant ici et là des références à des classiques de la pop, à la manière d'un sampling, mais joué live - quelques mesures du Apache de l'Incredible Bongo Band, le riff du Iron Man de Black Sabbath, etc.

Pas de grandes surprises pour ceux qui ont déjà vu The Roots sur scène, mais une performance qui, encore une fois, donne des leçons. Reste qu'on pouvait peut-être sentir la retenue du groupe qui ne fait que préparer le terrain à une prochaine tournée en bonne et due forme. S'en vient en octobre How I Got Over, neuvième album du groupe (qu'on promet encore plus politisé que le reste de son oeuvre), et il nous tarde à découvrir ces chansons qui n'ont pas vraiment trouvé leur place dans les quelques 75 minutes qu'on leur a donné. Ce n'est que partie remise.

Elbow

Guy Garvey, chanteur et principal compositeur du groupe Elbow, avait franchement l'air ravi de se sentir « on top of the world » cet après-midi. « La température est superbe, disait-il. Vous savez, nous venons de Manchester, où il pleut constamment... »

Ceci explique sûrement, en partie du moins, la nature mélancolique et contemplative de la pop rock d'Elbow, qui s'apprécie beau temps mauvais temps, ainsi que le groupe en a fait la tendre et brillante démonstration.

Magnétique performance que le groupe vient de terminer de livrer, sur le parc Jean-Drapeau. Un peu de répit et de mélodies caressantes, après le diable qu'a remué Eagles of Death Metal. Deux violonistes accompagnaient l'orchestre pour les chansons les plus tendres, surtout celles de The Seldom Seen Kid (récipiendaire du Mercury Prize l'année dernière), une trompette apparaissait parfois dans l'instrumentation, le son était irréprochable (juste à côté de la console, en tous cas).

On ne s'y attendait pas, mais même dans un contexte de festival, la pop de chambre d'Elbow parvient à se mettre à l'aise. La voix de Garvey est évocatrice et vivante, les arrangements que celui-ci a couché élèvent, malgré un ensemble limité de musiciens, ces chansons jusqu'au ciel. Pop rock pastoral, en somme, qui n'exclut pas quelques titres plus dégourdis, où les guitares se fâchent tout en restant dociles. Maintenant, qu'on les réinvite pour un concert complet, s'il-vous-plaît !   

K'Naan: scène MEG Montreal

Parmi les modifications apportées au site du parc Jean-Drapeau, le revêtement de la surface avec du gravier. Très pratique en cas de température pluvieuse, puisqu'au ça nous évite de regarder un concert les pieds dans la boue.

Sauf que lorsque le soleil plombe comme c'est le cas cet après-midi, les festivaliers cherche un endroit où poser leurs couvertures et s'établir un petit coin pic-nic. Depuis le début de la journée, la butte qui surplombe les scènes (toujours gazonnée, elle), affiche complet. De même, l'espace où veille la scène MEG Montréal a son lot d'adeptes évachés sur la pelouse, attendant les propositions musicales.

Encore une fois, c'est la scène MEG qui mérite le titre de coin le plus sympa d'Osheaga. Vous y rendre, cependant, n'est pas une mince affaire : la circulation y est dense, on se marche sur les pieds des deux côtés de la rive du petit ruisseau qui sépare cette scène de l'aire principale d'Osheaga.

Le troubadour pop/rap/afro torontois K'Naan y a fait belle impression, lui qui était programmé après La Roux. Tout naturellement, il a d'abord tenu à mettre en contexte son travail, chansons qui traitent d'exil, de dépaysement, des beautés et des horreurs de son Afrique natale. Sur des rythmes d'inspiration jamaïcaine (reggae, dancehall) ou étatsunienne (soul, r&b, hip hop). Captivant, par moments, et surtout bienvenu sous le soleil tapant.

Eagles of Death Metal

Nous sommes plusieurs à attendre le concert des Britanniques Elbow, sur l'une des deux scènes principales d'Osheaga. Ce qui ne nous empêche pas de prendre notre pied avec le rock n'roll crotté des Eagles of Death Metal, qui fait lever la poussière sur les têtes à grand coup de guitares fuzzées et de batterie à pistons, gracieuseté du surnommé The Sexy Mexy.

Ils étaient dans leur élément naturel, les rockeurs. Le soleil de Montréal devait leur rappeler celui de leur Californie natale, du genre qui assomme, comme le font leurs compositions. Si Josh Homme (Queens of the Stone Age) est l'un des instigateurs du projet (pas de l'alignement aujourd'hui, dommage), le groupe évite les lourdeurs généralement associées au musicien/réalisateur pour revigorer un rock classique, éternellement efficace, aux références Sudistes, blues, honkey tonk, Tex-Mex. Ça rentre au poste, comme dirait l'autre.

La Roux: une pop qui a du toupet

On peut mesurer le parcours d'un artiste à la trajectoire qu'il emprunte sur scène. La Roux nous a fait une première visite en avril dernier, à la salle Les Saints. De retour à Montréal, la formation électro-pop que mène la colorée Elly Jackson s'offre la scène MEG du festival Osheaga, laquelle pourrait déjà paraître trop petite pour celle qui trône au sommet des palmarès radio anglais grâce à la chanson Bulletproof.

Tout chaud, l'album (éponyme) de La Roux est arrivé chez les disquaires mardi dernier, un mois après sa sortie en Grande-Bretagne, où on se l'arrachait littéralement: avec plus de 60 000 exemplaires écoulés dès la première semaine, le disque pop aux relents eighties de La Roux est devenu l'un des meilleurs vendeurs de l'année là-bas. Bulletproof, troisième extrait du disque, est devenu son premier no 1 en carrière.

 

En plus, le comité de juges du fameux Mercury Prize (l'équivalent britannique de notre prix Polaris, décerné aux disques qui se démarquent pour leur originalité et leur qualité) n'a mis que quelques jours pour décider d'inclure l'album dans la courte liste de 10 oeuvres mises en nomination cette année.

«Pour n'importe quel artiste, it's a really big deal, commente Elly Jackson. Je pense que le Mercury est le prix le plus respecté par les artistes - à part un Grammy. Lorsque tu gagnes un Grammy, you know you made it. Avec le Mercury, la question n'est pas d'avoir un no 1 ou de vendre des millions d'albums. C'est de se sentir respecté en tant que musicien. C'est un vrai prix de musique.Et nous ne pensions même pas que nous pourrions être en nomination», ajoute-t-elle.

Avec les Florence&The Machine, Bat For Lashes (toutes deux en nomination) et Little Boots (qui a échappé le prix), La Roux représente cette nouvelle génération de musiciennes et chanteuses «post-Amy, post-Duffy» qui animent la scène pop britannique depuis quelques mois seulement.

«C'est étrange, tout le monde me demande comment ça se passe avec le succès, dit Jackson. On s'imagine que je me fais reconnaître partout où je vais... Mais ce n'est vraiment pas comme ça. Pour être honnête, je ne l'ai pas encore senti, mais c'est peut-être parce que je ne suis pas retournée à Londres depuis un moment...»

La Roux, «trio» formé de la chanteuse, de son toupet roux et du producteur-bidouilleur Ben Langmaid, s'offre une tournée panaméricaine, faisant même quelques détours par les plateaux des émissions de fin de soirée, où l'on semble apprécier, avec un brin de curiosité, cette électropop aux arrangements rêches qui portent la voix claire et affirmée de la chanteuse, rappelant un peu Eurythmics, un peu Depeche Mode. Et Bulletproof, imparable ritournelle, s'avère être le parfait cheval de Troie pour prendre la planète pop d'assaut.

«C'est tout nouveau ici, pour moi comme pour le public. Et c'est très bien ainsi: je n'aurais pas voulu arriver en Amérique avec la pression d'un énorme succès en Grande-Bretagne. J'aime l'idée que ce soit encore au stade de départ.»

Si on craque sans mal pour les très bonnes chansons du premier album, on reste fasciné par l'attitude frondeuse de la chanteuse, par ses cheveux roux qu'elle porte en vague, par ses costumes de scène flamboyants, dont certains qu'elle confectionne elle-même. «Le look, l'image, c'est capital. Je prends soin de ce que je porte, de ce que les musiciens portent sur scène. C'est aussi important que la pochette, la manière dont s'articule le marketing. Ça définit l'artiste autant que la musique.»

Sur scène, Elly est accompagnée de deux claviéristes et d'un batteur. L'autre membre du duo, Ben, n'est pas du voyage, préférant l'ombre des studios aux projecteurs de la scène. «C'est vrai qu'il n'aime pas prendre le devant de la scène, mais, lorsque le jour viendra, il donnera aussi des entrevues! Après tout, je chante, j'écris les paroles, c'est normal que je sois l'image du groupe. C'est quand même un peu bizarre, La Roux, c'est en même temps mon projet solo et un groupe. Ce qui importe, c'est la manière dont on présente le projet, et c'est ainsi qu'on a choisi de le faire.»

Aujourd'hui, 15h15, sur la scène MEG.