Sorel, 15 mai 2000. Dans la chapelle Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours, à Sorel, nous sommes nombreux à pleurer. On n'est plus journaliste ou artiste ou ami ou proche, on est juste des centaines, des milliers d'affligés parce qu'André s'est fait hara-kiri quelques jours auparavant. Et le pauvre curé célébrant n'arrange rien en lâchant des phrases hallucinantes comme «ça a été un coup de poignard au coeur quand on a appris la mort d'André». Eh, misère...

Oui, ce sont les funérailles d'André «Dédé» Fortin. C'est difficile, cet après-midi-là, de penser à autre chose qu'à la mort, que ce soit quand Richard Desjardins entonne Le coeur est un oiseau ou quand s'élève la voix de Jeff Buckley - mort, lui, à 28 ans, dans des circonstances mystérieuses - reprenant Hallelujah de Leonard Cohen (la version préférée de Dédé, qui l'écoutait en boucle).

C'est difficile de ne pas songer aux derniers instants d'André... Jusqu'à ce que, à la toute fin de la messe, se lèvent les frères Diouf, dont les voix, les paroles en wolof et les percussions sont à jamais liées à la chanson Tassez-vous de d'là des Colocs. En cet étrange jour de mai, Hadji et Karim s'installent simplement dans le choeur de l'église avec leurs instruments, sourient et invitent toute la famille de Dédé, tous les membres des Colocs, mais aussi tous ceux qui sont présents à se lever, à chanter et à danser. Sur une chanson venue de leur Sénégal natal qui parle de pardon, d'acceptation, de rédemption, de guérison. Et tous, parents, musiciens, amis, proches se lèvent et chantent et dansent.

Et la vie reprend soudain tous ses droits. En cet après-midi lourd, nous chantons - en wolof, dans une église catholique, à Sorel! - notre amour pour André disparu. Qui d'autre que Dédé, qui d'autre que les Colocs auraient pu permettre de vivre un tel moment? À ce jour, pour moi, ces quelques minutes résument l'importance dans nos vies et notre musique des Colocs, autant que les super shows, les textes solides, les musiques imparables, l'humour cinglant, les clips puissants.

Et quand je doute, je me fredonne la fin de Tassez-vous de d'là: «Ma woloula, Dédé, woloula». Je te fais confiance, Dédé, je crois en toi. Et en la musique.