Colossal défi que de reprendre des pièces d'Édith Piaf. Il faut trouver le fragile équilibre entre deux écueils, soit singer la Môme ou plaquer grossièrement ses pièces dans un univers étranger.

Martha Wainwright dansait sur ce fil tendu hier au Théâtre Maisonneuve. Quelques mois avant la sortie de son album de reprises d'Édith Piaf, elle a présenté un spectacle en français, constitué en bonne partie d'extraits de ce futur disque déjà enregistré.

Irrespectueuse, Martha? Commentez

La chanteuse d'origine montréalaise s'est confessée en début de soirée. «Je ne connais pas beaucoup ou presque rien de l'histoire d'Édith Piaf», a-t-elle lancé avec nonchalance et candeur.

Elle irradiait avec sa robe noire qui descendait un tout petit peu en bas de sa taille, ses bas-collants scintillants et ses escarpins triomphants.

Un orchestre, issu comme elle de Montréal et New York, l'accompagnait (guitare, piano, violon et son mari Brad Albetta à la contrebasse). On peinait parfois à entendre la guitare, surtout en première partie. Mis à part ce détail, l'ensemble a offert de très belles interprétations du répertoire de Piaf, des soeurs McGarrigle et de quelques autres artistes francophones.

Wainwright n'a pas opté pas pour la facilité. Au lieu de reprendre les évidences de Piaf, elle a pigé certaines pièces un peu moins connues. Le concert a débuté en beauté avec Un enfant, C'est à Hambourg, L'accordéoniste et Les blouses blanches.

Le répertoire et son phrasé haletant est particulièrement difficile à chanter, mais cela ne paraissait pas. Martha Wainwright possède le registre vocal et la richesse expressive nécessaires. La dégaine aussi. Souvent prostrée, elle se raidit même, comme si elle se laissait traverser toute entière par les histoires chantées. Elle passe de la folie à la mélancolie, devient songeuse ou amoureuse, et paraît s'envoler ou laisser le tapis se dérober sous ses pieds.

Cette intensité disparaît complètement entre chaque pièce. La nonchalante demoiselle revient alors. Encore une fois, aucune intervention ne semblait préparée, ce qui laisse place à des courts et sympathiques échanges.

«J'allais dire quelque chose, mais c'est tellement évident», a-t-elle échappé avant de finalement commencer une autre pièce.

Les soeurs McGarrigle

Heureusement, sa mère (Kate McGarrigle) a rappelé à deux reprises l'identité d'un très peu confidentiel auteur de la chanson, Claude Léveillée. On a entendu aussi beaucoup de pièces des soeurs McGarrigle, toutes deux présentes.

Martha Wainwright joue, mais elle ne joue pas à Piaf non plus. De toute façon, difficile de confondre les deux. Martha reste Martha, encore une fois avec ses feuilles de paroles pour la rassurer en cas de perte de mémoire. Et perte de mémoire il y a eu.

Mais même quand Martha a cafouillé, on a apprécié. «Je l'ai apprise ce matin», a-t-elle admis en parlant de Quand j'aime une fois. Quelques secondes plus tard, elle a trébuché à deux reprises sur la première ligne. La foule a ri; elle aussi. La beauté semblait même se dégager de ses erreurs. Ce doit être cela, la grâce.

La même beauté aussi émanait de son français cassé, quand on devinait son accent anglais sur la dernière syllabe de certains mots.

En rappel, elle a offert une pièce de son répertoie anglo, Bloody Mother Fucker Ass Hole.

Il faudra attendre l'automne prochain pour la sortie du disque inspiré par Piaf. À en juger par le concert d'hier, l'épisode ne marque pas une pause dans son parcours créatif. Parlons plutôt d'un détour. Et ce détour l'amène visiblement ailleurs, autant musicalement qu'émotionnellement. On a hâte de voir la suite.