Soit, on est toujours le quétaine de quelqu'un. Mais depuis quelque temps, des artistes qu'on n'osait pas aimer au grand jour deviennent tout à fait présentables, à coup d'hommages et de compilations. On se pose des questions...

Les 21es FrancoFolies de Montréal se terminent demain avec Joe Dassin, la grande fête musicale, présenté gratuitement à la place des Festivals.

 

Ce sera loin d'être une première pour ce gros spectacle populaire, qui met en vedette une douzaine de danseurs et cinq chanteurs, dont trois ex-Académiciens. Depuis sa création en 2006, le spectacle a été présenté 60 fois à Québec et Montréal, ainsi que dans une demi-douzaine de villes américaines. Mais Joe Dassin, comme chacun sait, est un vrai plaisir coupable renouvelable, dont on ne se lasse pas facilement, même si l'homme est mort depuis presque 30 ans.

Pas de gêne

Coupable? Minute! Depuis une dizaine d'années, il est clair que Joe Dassin ne gêne plus personne. Si certains intellos l'écoutaient en cachette dans leur sous-sol, ce n'est plus le cas. Les enfants des années 70 ont grandi et assument ouvertement leur fascination pour ce monstre de la variété fleur bleue, roi de la mélodie romantique et du «talk over» sensuel. Aujourd'hui, ils revendiquent leur Joe Dassin haut et fort, sans crainte d'être jugés. Non seulement ce n'est plus quétaine, mais c'est carrément devenu cool.

«Au Québec, je dirais que tout cela a commencé avec les soirées C'est extra à la fin des années 90, explique Didier Morissonneau, producteur de Joe Dassin, la grande fête musicale. C'était un truc de branchés, un trip second degré. Mais disons que ça a réactivé l'intérêt. Après, Cité Rock Détente s'y est mis avec ses week-ends Pour un flirt. Les chansons de Joe Dassin tournaient à profusion. Rythme FM a répliqué et c'était parti...»

La réhabilitation a vraiment atteint son sommet en 2006, quand Stefie Shock a produit le disque Salut Joe! , un hommage collectif réunissant des artistes pas quétaines du tout comme Guy A. Lepage, Marc Labrèche, Éric Lapointe, Dobacaracol ou les Breatsfeeders. Ce disque étonnant a, pour ainsi dire, fait passer l'ami Joe du côté des intouchables.

Souvenirs, souvenirs

Le phénomène n'est pas unique. Périodiquement, des artistes profitent d'un retour en grâce. Un jour coupables, le lendemain innocents! Pensez à Patrick Norman, qui était la risée des intellos, avant d'être remis en selle par le journal Voir et par Le Devoir. À Boule Noire, qu'on a soudainement redécouvert. À Dick Rivers, redevenu hyper cool. À Martine St-Clair, qui vient d'enregistrer avec les Lost Fingers. Ou à Angèle Arsenault, récemment citée par le chanteur du groupe rap Gatineau.

Comment expliquer ces étranges retours de balancier? La nostalgie, tout simplement.

«C'est un peu la même règle que pour le kitsch, croit MC Gilles, DJ bien connu et ardent promoteur du plaisir coupable. Quand ça fait assez longtemps et que ça te ramène à «mes parents écoutaient ça quand j'étais jeune», c'est que c'est mûr. Ce n'était peut-être pas la meilleure musique de ton époque, mais ça te rappelle quelque chose.»

«Il faut que tu te sois ennuyé de l'artiste, précise de son côté Didier Morissonneau. Et ça, ça peut prendre au moins 20 ans...»

Un trip de gang

Selon MC Gilles, la réhabilitation d'un chanteur populaire passe d'abord par le canal branché et médiatique. Une fois que le «revival» est lancé par les hispters et les journalistes, le plaisir coupable devient légitime. On n'a plus honte de le dire, puisque les faiseurs de tendances le disent sur la place publique. C'est à ce moment, précise-t-il, que la machine commerciale s'en empare. Adamo est redevenu cool? Vite! Une compilation!

Évidemment, ne se réhabilite pas qui veut. Il faut certains préalables, le plus essentiel étant d'avoir gravé au moins UN hit. Il n'y a aucun intérêt à ressusciter un obscur chanteur tyrolien. Belgazou, par contre, ça parle à la majorité. Dans notre monde musical de plus en plus fragmenté, les vieux succès ont l'avantage de réunir les gens. Ils permettent de se déculpabiliser «en gang», sans se sentir jugé!

«Les chansons qui reviennent ont tellement joué, qu'elles font partie de notre inconscient collectif, observe MC Gilles. Et avec le temps, on a fini par oublier qu'elles étaient un peu ridicules. Prends La vie chante, de René Simard. Rien qu'avec le titre, on l'a dans la tête. C'est poche, mais c'est rassembleur.»

Durable ou coupable

«La différence avec Joe Dassin, c'est que c'était bon, nuance Didier Morissonneau. Prends Les petits pains au chocolat. À première vue, ça semble quétaine. Mais quand tu regardes les paroles, la structure, le riff de guitare, tu constates qu'il y a eu beaucoup de travail.»

C'est là, croit-il, qu'on départage le durable du vraiment coupable. La réhabilitation n'est souvent qu'une blague éphémère, une affaire de génération. Mais certains artistes, comme Joe Dassin, parviennent justement à dépasser ce stade. «Si ça fait plus de 30 ans que tu es là, conclut-il, c'est que tu es là pour de bon...»