Au dépanneur, il y a le client qui dissimule un Playboy entre un sac de chips, un Economist, du bicarbonate de soude et d'autres achats de circonstance. Les disquaires connaissent aussi un équivalent. Le client qui dissimule Spanish Train de Chris de Burgh parmi des disques d'Arcade Fire ou Johnny Cash pour que son achat passe inaperçu, ou paraisse moins honteux.

Car oui, les disquaires jugent parfois vos achats. «C'est vrai; quand je travaillais dans une grande chaîne, je me suis déjà moqué des gens à la caisse», avoue Sébastien Marcoux, aujourd'hui disquaire-acheteur au Marché du disque.

 

C'était avant. Si vous déposez un album de Kathleen ou de Francis Martin sur le comptoir, il ne rira pas. Promis.

«J'ai fini par réaliser que tu ne peux pas juger les goûts. Oui, Kathleen, c'est quétaine selon moi. Mais des gens l'aiment vraiment, et ils doivent avoir de bonnes raisons pour ça. Ils connaissent mieux leurs goûts que moi», explique-t-il.

Ou, comme l'a déjà résumé un sage: on est tous le quétaine de quelqu'un...

La maxime se vérifie lors d'un débat peu fécond qui se déroule derrière nous dans notre salle de rédaction. Quétaine ou pas, Les yeux du coeur de Gerry Boulet? La question divise cinq maniaques de musique pendant qu'on essaie d'écrire ces lignes. La réponse n'a pas encore été trouvée.

Même la signification du mot quétaine ne fait pas consensus. À la base, il y a l'idée qu'on peut distinguer entre le bon et le mauvais goût. Le quétaine serait une sous-division du mauvais goût. Par exemple, les chansons aux textes qui abordent des thèmes universels mais de façon superficielle et pleine de clichés, et les musiques qui, comme le jazz d'ascenseur et les sonates de restaurant, pastichent grossièrement des genres reconnus.

Certains ont réfléchi sérieusement à la question. Professeure au département de sociologie et d'anthropologie de l'Université d'Ottawa, Michèle Ollivier a publié en 2006 dans Popular Music un article intitulé «Snobs and quétaines: prestige and boundaries in popular music in Quebec». Elle y parle entre autres des années 60, durant lesquelles de plus en plus de chansonniers écrivaient leurs pièces au lieu de piger dans le répertoire populaire ou de traduire des succès américains, comme Michèle Richard et d'autres continuaient de le faire. On devine qui étaient les quétaines.

Mais écrire son matériel n'immunise évidemment pas contre la quétainerie. Pour s'en convaincre, on peut consulter The Rock Snob Dictionary, duquel on déduit que la majorité des CD devraient être compostés.

On déduit, car le mot quétaine n'y figure pas. Le mot est québécois. On ne lui connaît pas vraiment de synonyme anglais. Et il ne faut pas le confondre avec le kitsch. «Ce sont deux choses différentes, explique Roxanne Arsenault, qui termine une maîtrise sur le kitsch à l'UQAM. Le kitsch, ce n'est pas péjoratif selon moi. C'est une accumulation d'idées dans un même objet, des imitations exubérantes, de l'excessif sans deuxième niveau de lecture. (...) Tandis que le quétaine, c'est une notion beaucoup plus subjective. En gros, je pense que ça qualifie une chose démodée.»

Ce qui nous ramène aux Yeux du coeur. Alors, quétaine ou pas?