Une chose est certaine : les jeunes stagiaires de l'Institut canadien d'Art vocal engagés dans le tripatouillage Brook-Carrière-Constant de la Carmen de Bizet ont tous beaucoup de talent, à la fois comme chanteurs et comme acteurs, et l'expérience très formatrice qu'ils ont vécue là justifie pleinement l'existence du stage annuel de l'ICAV.

Il était sans doute intéressant que Montréal connaisse à son tour cette Tragédie de Carmen où les quatre actes et trois heures du plus célèbre opéra du répertoire sont condensés en un seul acte de 70 minutes. C'est maintenant chose faite, c'est classé, et je ne crois pas qu'il y ait lieu d'y revenir.

 

Les personnages sont tous là -la fameuse séductrice et ses amants qui s'entretuent pour obtenir ses faveurs- de même que tous les airs qui ont fait la popularité de l'ouvrage. Hélas! le déroulement de l'action a été complètement chambardé et le dialogue, sévèrement mutilé.

Le tout commence sur l'Air des cartes, placé au troisième acte chez Bizet. Autre nouveauté : Carmen poignarde Micaëla et est jetée dans un cachot symbolisé par 12 chaises placées autour d'elle. «Je vous invite tous aux courses de Séville», lance le torero Escamillo. Tous : ils sont trois en scène. L'affrontement final entre Don José et Carmen est coupé net, le «Libre elle est née et libre elle mourra!» de Carmen étant suivi d'un long passage de piano et d'un texte nouveau : «Il faut partir», dit Don José. «Oui, c'est l'heure», répond Carmen. Mais on revient à Bizet pour la toute fin : Don José plante un poignard dans le dos de Carmen.

Pour résumer : une façon de voir et d'écouter Carmen qui est différente mais ne remplace absolument pas l'original.

Le caractère des personnages n'a pas été modifié cependant. L'Américaine Julia Mintzer, 24 ans, est une Carmen très vraie : extrêmement sensuelle, avec la grâce d'un serpent, la violence d'un tigre, et un mezzo au grave pénétrant. Antoine Bélanger, solide ténor, joue le Don José pathétique et un peu niais que la tradition a fixé. De même, fier Escamillo de Pierre-Étienne Bergeron (à l'aigu un peu plafonné) et innocente Micaëla de Caroline Bleau (qui a cependant tendance à forcer sa voix). Éblouissante composition d'Isabeau Proulx-Lemire en aubergiste, rappelant son geôlier ivre du Fledermaus de l'an dernier.

Excellent travail de Joshua Major à la mise en scène, Pierre McLean au piano (remplaçant l'orchestre) et Paul Nadler à la direction musicale.

En début de programme : un très beau documentaire audiovisuel de légendaires interprètes de Carmen réalisé par Pierluigi et Éliane Ventura.

LA TRAGÉDIE DE CARMEN, opéra en un acte de Peter Brook (scénario), Jean-Claude Carrière (livret) et Marius Constant (musique) (1981), d'après Carmen de Mérimée, Meilhac, Halévy et Bizet. Jeudi soir, salle Claude-Champagne de l'Université de Montréal. Dans le cadre du Stage de perfectionnement de l'Institut canadien d'Art vocal.