Même si beaucoup de choses ont changé autour de lui, Vincent Vallières ne veut pas entendre parler de virage. Il a raison. Son nouvel album, Le monde tourne fort, est le plus beau témoignage qui puisse être de la maturité acquise par un jeune artiste en constante évolution.

Vincent Vallières n'a que 30 ans, mais il en est déjà à son cinquième album. Un autre que lui aurait le vertige en jetant un oeil sur le chemin parcouru en si peu de temps. Pas Vallières.

Il constate: «J'ai une jeune famille, j'ai eu 30 ans. C'est sûr qu'il y a plein d'affaires nouvelles dans ma vie - il a quitté Montréal pour retourner vivre en Estrie, à Magog - et je sens que je suis en évolution, en progression, et que je regarde en avant. Je suis un gars fidèle et la vie a fait en sorte qu'après 10 ans professionnellement, je me suis séparé de mon ancien producteur; j'ai un nouveau coréalisateur (Olivier Langevin), une nouvelle compagnie de disques (Spectra Musique). Tout ça pour moi, c'est sain.»

Sur son nouvel album, Vallières ne cherche pas à étonner. «Dans le genre de musique que je fais, faut pas chercher le changement de cap ou le virage à 180 degrés, dit-il. Je ne pense pas faire un disque disco de ma vie!» Le monde tourne fort est le disque remarquable d'un jeune artiste créatif, curieux et réfléchi, l'aboutissement d'un travail de tous les instants et des rencontres, nombreuses, qui l'ont stimulé au cours des dernières années.

Dans la famille

Ce «gars de gang» a chanté Beau Dommage avec Mara Tremblay, Félix avec Marc Déry, et Miron avec la belle bande des Douze hommes rapaillés. Il joue avec le même batteur et le même bassiste depuis l'adolescence; les guitaristes passent, d'Éric Goulet à Olivier Langevin en passant par Louis-Jean Cormier, de Karkwa, mais ils demeurent dans la famille et collaborent tous au nouveau disque. «Ces gars-là, dit-il, sont parmi les meilleurs musiciens de ma génération. Ils sont excessivement talentueux, ils ont une vision, des idées, du souffle, du coeur. Donc, des fois, tu ne peux pas ne pas accepter de les laisser partir.»

Puis il ajoute: «Au fil des années, on dirait que tu finis par connaître tes frères. Le fait de côtoyer ces gens-là m'a appris énormément. Dans le spectacle Douze hommes rapaillés, j'ai chanté une toune avec Pierre Flynn et Richard Séguin. Je les ai vus travailler avant et après, j'ai vu leur souci de bien comprendre les mots qu'ils chantent, d'arriver prêts, de répéter convenablement avant de se présenter devant le public, par respect de la chanson, par respect du public. C'est pareil avec les gens de ma génération, avec Louis-Jean, avec Olivier, toute cette gang-là: on a grandi là-dedans ensemble.»

La signature d'un artiste

Ce nouveau disque s'est construit méthodiquement. En début d'année, Vallières était dans sa zone et «les chansons sont arrivées». Il écrivait pendant une dizaine de jours, puis passait deux ou trois jours à jouer ses chansons à Langevin, à faire des maquettes, à les écouter et à les retravailler.

«Quand nous sommes entrés en studio, tout le monde savait ce qu'il allait jouer, dit-il. C'est impossible aujourd'hui de faire toute cette expérimentation-là en studio, ça coûte trop cher. Sauf qu'on peut se le permettre dans le local d'Olivier, il est si bien équipé qu'à la limite, on aurait pu y faire l'album.»

Le résultat est probant. Toutes les bonnes idées que Vallières avait dans ses albums précédents, toutes les couleurs, tous les styles qui en faisaient des disques un peu touffus s'intègrent désormais l'un dans l'autre. L'auditeur ne pense plus folk, country ou rock, il entend la signature d'un artiste.

Plus il vieillit, plus Vallières passe du temps à écrire, à réécrire. «Le vrai travail d'auteur, pour moi, c'est quand ç'a l'air de couler de source, quand on ne sent pas l'ouvrage derrière une chanson, même si t'as bûché pendant des semaines, constate-t-il. Je ne pense pas que si je prenais une pause de trois ans sans écrire, je serais un meilleur auteur. J'aurais vécu des affaires, mais je crois qu'il faut pratiquer, il faut écrire beaucoup. C'est la première fois que j'arrive à la fin d'un disque et qu'il me reste 15, 20 chansons. Évidemment, il y en a plusieurs mauvaises...»

Jamais il ne s'est autant livré sur un disque, quitte à délaisser les personnages qui peuplaient ses chansons: «La marge est vraiment mince entre un journal intime et une chanson, mais il faut mettre une partie de toi dans chacune de tes chansons, surtout quand c'est toi qui vas les interpréter.»

Il chante l'amour-rupture, mais aussi l'amour rédempteur parce qu'il faut qu'il y ait «de l'espoir au bout du compte». «Dans le fond, ajoute-t-il, j'aurais mieux aimé être un chanteur engagé, mais je suis un mauvais chanteur engagé, je n'ai pas ça en moi. Quand je commence à me prendre au sérieux, je ne me trouve pas crédible. Je préfère une chanson vraiment simple que je peux maîtriser. Faut que je joue sur ce terrain-là et j'espère qu'en vieillissant, ça va s'agrandir. Mais je ne veux pas perdre ma naïveté des débuts.»