Depuis 10 ans et trois albums, Chloé Sainte-Marie a chanté des poètes d'ici, y compris des poètes amérindiens et inuit, à raison d'un, deux ou trois textes par disque. Son tout nouvel album va plus loin: la chanteuse aux cheveux rouges se consacre quasi exclusivement au répertoire du poète innu Philippe McKenzie. Oui, c'est un disque entièrement interprété en montagnais...

Sur l'internet - et dans une médiathèque en Belgique! -, on peut encore trouver quelques exemplaires des disques vinyles enregistrés par le poète et chansonnier innu Philippe McKenzie dans les années 80, pour le compte de ce qui s'appelait alors le CBC Northern Service. À l'époque, parmi ses musiciens, se trouvait un certain Florent Vollant, guitariste...Depuis une trentaine d'années, sur des airs folk et country, Philippe McKenzie chante l'amour, l'espace, la vie des Amérindiens, leur quête d'identité, leurs songes, leurs rêves souvent brisés, sans sombrer dans l'amertume ou le misérabilisme. Sa chanson Innu (que Chloé Sainte-Marie a reprise sur l'album Je marche à toi) est considérée comme un véritable hymne par sa communauté.

Mais qui d'entre nous connaît Philippe McKenzie? Eh bien, un certain Gilles Carle, cinéaste. C'est en voyant le film Le dernier glacier (réalisé en 1984 par Jacques Leduc et Roger Frappier) que Carle entend la chanson Ka Papeikupesh (Le solitaire) de McKenzie et qu'il fait appel à son tour au poète et chanteur innu pour la bande sonore de son film La postière (1992), mettant en vedette Chloé Sainte-Marie.

«Pour moi, dit celle qui est devenue depuis fine interprète de poètes, Philippe est l'un des plus grands auteurs-compositeurs nord-américains, au même titre que Neil Young ou Bob Dylan.»

Sur le tout nouvel album de la chanteuse, baptisé Nitshisseniten e Tshissenitamin (Je sais que tu sais), se trouve d'ailleurs sa reprise bien à elle de Ka Papeikupesh, avec seulement sa voix, un piano, un violoncelle...

Oui, un piano et un violoncelle. Car sur cet album, s'il y a parfois des percussions amérindiennes, il y a aussi du violon, de l'accordéon, des claviers: bref, c'est un disque de Chloé Sainte-Marie, aussi beau que ses trois précédents... «Ka Papeikupesh est la dernière chanson qu'on a enregistrée, dit-elle, on n'arrivait pas à trouver comment la faire. Avec Réjean (Bouchard, réalisateur et arrangeur, également derrière quasi tous les instruments de l'album!), on travaille toujours de la même façon: on choisit des textes et on les «monte» tous en même temps pour qu'ils deviennent des chansons simultanément.» Dans le cas du répertoire de McKenzie, les textes et les mélodies existaient déjà, la situation n'était donc pas la même qu'avec les poèmes de Miron, Giguère ou Gilles Carle, qu'il fallait mettre d'abord en musique.

Mais encore fallait-il les arranger et surtout apprendre à prononcer correctement les paroles pour que Chloé Sainte-Marie fasse siennes les chansons du poète de la Côte-Nord. Pendant neuf mois, avec son amie Joséphine «Bibitte» Bacon (qui a également écrit les poèmes d'ouverture et de clôture du disque), elle a travaillé les textes, la prononciation, le sens: «C'est Joséphine qui m'a proposé de faire un disque-hommage à Philippe, Si ça n'était pas venu d'elle, jamais je n'aurais osé le faire.» Puis, pendant quatre mois, avec Réjean Bouchard, Chloé Sainte-Marie a cherché en studio comment rendre le mieux possible les mots et les musiques de McKenzie - McKenzie qui vient de faire un AVC, mais qui sera au lancement, mercredi prochain.

«Tu sais, on enregistre dans le studio qu'on a à la maison parce que je veux que Gilles (Carle) soit là, qu'il nous entende, parce que tout vient de lui, pour moi. Tu vois la pochette? C'est un dessin de Gilles, il m'a représentée avec une pomme verte qui me clôt la bouche. Eh bien, je viens d'apprendre que la pomme (rouge) est le symbole de la nation métis. Or, Gilles est un métis montagnais - d'ailleurs, il paraît qu'il a un sosie à Malioténam, un Innu qui lui ressemble tout à fait!

«En faisant ce disque, reprend-elle, j'avais le désir de me retrouver, de nous retrouver: mon premier ancêtre, arrivé ici en 1656, a été un interprète, ce qu'on appelait alors un truchement; il parlait l'abénaquis, l'algonquin... Et quand on y pense, on est tous des métis, on a tous du sang indien dans les veines. Ce qui serait important, c'est que nos enfants apprennent à l'école la langue amérindienne de leur région: les enfants de Gaspésie apprendraient le micmac, les enfants de Québec, le huron-wendat, ceux de Montréal, le mohawk... Et nous pourrions nous parler. C'est le titre d'un recueil de poèmes de mon amie Bibitte: Parlons-nous...»

«As-tu déjà entendu l'attikamekw (appelée également tête-de-boule et parlée le long de la rivière Saint-Maurice)? demande Chloé Sainte-Marie, avec une énergie qu'on n'attend pas d'une femme qui mène également à bout de bras la conception d'une maison pour grands malades (la maison Gilles-Carle, inaugurée en novembre prochain à Saint-Paul-d'Abbotsford). C'est magnifique, ça sonne comme du russe! Eh bien, un jour, je chanterai en attikamekw.»

CHANSON

Chloé Sainte-Marie

Nitshisseniten E Tshissenitamin (Je sais que tu sais)

GSI/Select

En magasin mardi

EN UN MOT

Après avoir chanté les poètes Miron, Denise Boucher, Patrice Desbiens, etc., Chloé Sainte-Marie sort un cinquième album, Nitshisseniten e Tshissenitamin (Je sais que tu sais), consacré aux textes et musiques du poète montagnais Philippe McKenzie.