Hier soir, le petit théâtre de la Boule noire, proche de la place Pigalle, faisait le plein avec quelque 150 spectateurs, tous manifestement acquis à la cause de Pierre Lapointe, et qui lui ont fait une belle ovation en fin de spectacle.

Jusque-là rien d'extraordinaire. Au cours des trente derniers mois, l'auteur-compositeur du Bal des suicidés a déjà fait salle comble deux soirs de suite à la fois à la Cigale et au Bataclan, des salles parisiennes de 1000 places. Et, pour cette première à la Boule noire, il y avait un certain nombre d'invités, comme c'est l'habitude. Ce qui est plus qu'encourageant pour lui - et sa carrière en France-, c'est que tous les morceaux ont l'air de se mettre en place. La Boule noire, située au sous-sol de la Cigale, est certes une petite salle, sympathique et branchée, mais vraiment petite. «Ça fait drôle de jouer sur une aussi petite scène», plaisantait Lapointe à la fin du spectacle. La nuance, c'est qu'il y est jusqu'au 17 octobre, ce qui fait une vingtaine de soirs.

«Cela ne fait pas beaucoup plus en un mois que deux soirs au Bataclan, dit-il, mais on joue sur la durée. Cela permet au bouche-à-oreille de fonctionner. Et aux médias de venir voir le spectacle.»

En effet, s'il est déjà difficile pour n'importe quel chanteur d'attirer les médias, cela devient presque mission impossible quand on ne donne qu'un ou deux spectacles.

Le choix de la Boule noire, du 21 septembre au 17 octobre, permet d'espérer l'amplification de la rumeur. Et apparemment, Pierre Lapointe, qui ne joue pas vraiment la carte commerciale, dispose déjà à Paris d'un petit réseau de fidèles.

Dans son entourage, on précise de manière catégorique que 50 % des billets sont déjà vendus jusqu'au 17 octobre. Dans cette salle biscornue, où effectivement ses musiciens, le piano et lui-même sont collés les uns sur les autres, il pourrait attirer 3000 spectateurs en un mois. Ce qui serait plus qu'un succès d'estime.

Ni Pierre Lapointe ni ses agents québécois et français n'ont misé sur le succès instantané. Et, à un niveau qui n'est plus artisanal, le succès est en train de prendre forme et le travail des deux années passées commence à rapporter.

Son précédent album, La forêt des mal-aimés, sorti sous étiquette Audiogram, a quand même atteint les 18 000 copies, ce qui n'est pas négligeable ces jours-ci. La preuve: lorsque la maison québécoise Audiogram a fermé sa filiale française il y a moins d'un an, c'est Wagram, le label indépendant le plus important en France, qui a proposé un contrat au chanteur: «Nous avons toujours souhaité avoir Lapointe chez nous. Dès qu'Audiogram s'est retiré, nous étions preneurs», dit-on chez Wagram.

Wagram est un label respecté dans les médias, et Lapointe n'est pas un inconnu à Paris. Les résultats ont donc commencé à tomber. Dans L'Express du 10 septembre, son album Sentiments humains fait partie des trois coups de coeur de la semaine: «Ses chansons explorent le spleen et la chair dans un même mouvement viscéral, parfois touffu, souvent éblouissant.»

Alors que l'album arrivait dans les bacs hier matin, le même jour que la première à la Boule noire, Lapointe a déjà une invitation au Fou du roi, l'une des émissions les plus écoutées à la radio de France Inter. Une autre invitation à France 3 (télé), des articles prévus dans le quotidien L'Humanité, et dans Les Inrockuptibles, le magazine culturel le plus branché en France. Ce qui ne l'empêche pas de faire un prochain Paris Match.

«Pierre Lapointe n'est pas facile à vendre aux radios musicales actuelles, qui ne jurent que par la musique rock et techno pour jeunes, dit-on chez Wagram. Alors que lui est un chanteur à textes. Mais, comme justement ses textes ont vraiment un très haut niveau, il peut intéresser la presse plus intello. Et en même temps un vaste public, amateur de belles mélodies. La voie est étroite, d'autant plus qu'il n'a pas de «tube» en magasin, mais le potentiel est énorme.»

L'affaire en tout cas est loin d'être terminée pour cette année. En mars, Pierre Lapointe revient en France pour une tournée d'une vingtaine de spectacles. Et entre-temps, il aura fait, au Zénith, les 20 et 31 octobre, la première partie d'un poids lourd de la chanson actuelle, Calogero.

«Pierre a vraiment un potentiel grand public», nous répète-t-on chez Wagram. Avec enthousiasme, malgré la dureté des temps actuels pour les maisons de disques.