Par un matin splendide de septembre, Joseph Antoine Frédéric Fortin Perron m'attend au café qui jouxte son local de répétition. Il sort à peine de l'émission C'est bien meilleur le matin, où il a d'abord été interrogé sur la définition du mot plastrer. De kessé? Pour les Bleuets du Lac-Saint-Jean, a répondu le natif de Dolbeau, plastrer signifie plâtrer.

On en déduit qu'il s'agit là d'un dérivé de l'anglais. Plaster. Plâtre. Et pourquoi Plastrer la lune, maintenant, ami Fred? La métaphore a germé à la suite d'une mésaventure plâtrière - tant qu'à prendre des libertés avec la langue, allons-y! Fred avait fait réparer un vieux mur de son appartement en rénovation... «Ça avait été tellement mal fait que j'aurais bien envoyé l'ouvrier plastrer la lune!» relate-t-il.

 

Puis la formule a pris un autre sens. Venait du coup cette idée de l'inutilité du geste suggéré à l'employé incompétent. «Quand même tu t'acharnes sur cette idée de plastrer la lune, ça ne change rien. Ça devenait une liberté que je prenais dans l'imaginaire collectif, dont la lune fait évidemment partie. M'est venue ensuite l'idée de l'inutilité apparente de la création musicale. Elle peut sembler dénuée de sens, inutile de prime abord. Or, la musique finit par se frayer un chemin, on finit par y trouver une valeur poétique. Par s'en nourrir.»

La rencontre de Thomas Fersen, dont il a réalisé l'album Trois petits tours et avec qui il tourne régulièrement à titre de bassiste depuis l'an dernier, a été importante pour maintenir le cap. «Il m'a encouragé à témoigner de mon patrimoine et à rester proche de ma façon de me raconter. Il m'a réconcilié avec le texte en me rappelant cette chance de raconter mon territoire, ma bulle, à travers les histoires et personnages fictifs qu'un auteur peut créer.»

Le chanteur français a aussi incité son ami québécois à sortir de sa vie personnelle pour mieux plonger dans la fiction. «Raconter sa propre vie, ça peut devenir plate», résume le principal intéressé.

Ainsi, les histoires de ce nouvel album s'annoncent plus variées, elles ont fait travailler fort son parolier. Bobbie, ce personnage de village qu'on se complaît à imaginer en brute, le destin paradoxal d'une employée au Dollarama, ce vieux garçon jeté par ses vieux parents et devenu homme de ménage dans un cinéma porno, cette Madame Rose qui s'est débarrassée de son bourreau... Le texte, donc. Voilà la plus belle avancée de Fred Fortin.

La même liberté

Musicalement, on observe la même musicalité, la même liberté, la même tension entre rugosité et complexité, la même passion pour les fréquences acidulées, les mesures composées et les structures nettement au-dessus de notre moyenne pop. On identifie de nouveau la complexité de certaines pièces et le côté sale de l'orchestration qui éloignent Fred du sacro-saint crossover québécois, seule manière de vendre beaucoup de musique dans un marché aussi restreint que le nôtre. Et d'être largement diffusé, il va sans dire... «J'ai plein d'idées pour ne pas passer à la radio!» résume-t-il, hilare. Et toujours libre, il va sans dire. Cela étant, il souligne la simplification de la facture musicale. «J'ai fait ça pour mieux faire passer le texte? Peut-être, mais surtout pour faire différent de l'album précédent!»

Comme on le sait, les êtres libres ne craignent pas la solitude, et Fred Fortin n'y fait pas exception: «C'est moi qui réalise, j'ai fait le gros tout seul. J'ai commencé au chalet du Lac l'an dernier, j'y suis revenu sporadiquement. J'ai achevé le travail à mon local de Montréal; mes chums musiciens y sont venus, j'ai travaillé cet album toune par toune, avec un ou deux musiciens pour chacune d'entre elles... L'idée, c'était de trouver la meilleure collaboration qui puisse correspondre à chaque ambiance. Martin Lavallée ou Robbie Kuster aux percussions, Jocelyn Tellier aux guitares, Dan Thouin, etc.»

Près de cinq ans séparent cet album solo du précédent. «Si j'ai pris mon temps? C'est le temps qui me prend de court! En travaillant avec Galaxie 500 et les autres, ça m'a retardé. Si je dois faire plus d'albums? Peut-être, mais la vie est faite comme ça.»

La vie, mets-en. Jolie famille, trois enfants (Charlie, Léonie, Mathias), couple qui fonctionne rondement (Mélan est «sa reine», pour citer les notes de pochette), grand appartement à Verdun dans l'édifice de belle-maman, chalet chez les Bleuets que les Fortin occupent «autant que possible», passion indéfectible pour le hockey qu'il pratique «une couple de fois par semaine», 38 ans, la forme.

La lune, maintenant.