Dès sa première rencontre avec les Trois Accords, le réalisateur Gus van Go était légèrement perplexe. Les personnages de vos nouvelles chansons sont-ils des gars ou des filles? a demandé l'ex-Me, Mom and Morgentaler. Les rois du rock absurde auraient-ils vu trop de films de Pedro Almodovar?

Au tout début du troisième album des Trois Accords, Dans mon corps, Simon Proulx chante avec toute la conviction décalée dont il est capable «dans mon corps de jeune fille, il y a des changements» sur une musique de fanfare d'école secondaire. L'auditeur réagit comme la première fois qu'il a glissé le Gros Mammouth Album Turbo dans son lecteur CD: il est surpris, puis il rit et, l'instant d'après, il chante avec le groupe de Drummondville ce nouveau refrain délicieusement absurde.

 

Proulx, que je rencontre avec le guitariste Alexandre Parr à l'Astral, où avait lieu leur lancement cette semaine, se souvient que la perplexité de Gus van Go l'a convaincu qu'il tenait là le thème de leur nouvel album, «un jeu de genre, d'identité» qu'il allait pousser au bout de sa logique. Pas seulement dans la chanson Dans mon corps, où «un gars de 28 ans chante une toune de jeune fille», mais aussi dans Elle s'appelait Serge (...«avant de s'appeler Bianca»), La lune (où un gars se travestit par amour pour sa blonde) et même Pull pastel, qu'Alexandre Parr rêve d'entendre chantée à tue-tête par un fan à l'écoute de son iPod: «Tant que les moutons produiront de la matière/Je tricoterai dans le Cercle des fermières.»

«L'idée au départ, c'est de ne pas être un groupe comme les autres, de faire quelque chose que les autres n'ont pas pensé à faire, explique Simon Proulx. Toutes les fois qu'arrive une idée, on se demande: est-ce que quelqu'un d'autre ferait ça? Est-ce qu'on cherche encore à être le band qui fait les choses différemment? On tripe quand on voit des gros gars poilus crier et chanter des trucs qu'ils ne chanteraient jamais autrement, mais vraiment dans la joie! Ça leur fait du bien, à eux aussi. Les gens vont reconnaître les Trois Accords dans nos nouvelles chansons, mais j'ai l'impression qu'on est allés plus loin au plan de l'écriture.»

Les Trois Accords annoncent déjà leurs couleurs sur la pochette, qui montre un chanteur noir qu'on devine intense. Sous prétexte qu'il y a des cuivres et un peu de swing dans deux chansons du nouvel album, un petit rigolo des Trois Accords a expliqué à un collègue de la télé qu'ils avaient fait appel à ce substitut parce qu'ils n'étaient pas très convaincants quand ils prenaient la pose typique d'un chanteur soul. La vérité, comme toujours avec les Trois Accords, est beaucoup plus simple: le concept les faisait rire.

«Et puis on trouvait ça cool que ça ait l'air d'un album soul des années 70, un disque qui s'est fait dans la sueur, reprend Simon. Ça marche aussi parce que dans ce disque, on joue beaucoup sur l'interprétation, ce qui est nouveau pour nous: une pochette de soul très ordinaire pour le disque d'un groupe de petits blancs-becs de Drummondville...»

Du flash à la chanson

De plus en plus, les Trois Accords veulent exploiter le décalage sous toutes ses formes, la juxtaposition d'éléments qui ne vont pas du tout ensemble, comme dans la chanson Club optimiste, où le discours platement convenu - «merci aussi à tous les gens qui ont rendu cet événement possible» - est chanté par la voix la plus déprimée qui soit. Leurs chansons viennent souvent de flashes que Simon teste auprès de ses complices et de leurs amis. S'ils rient, c'est gagné. Ne reste plus qu'à en faire une chanson, ce à quoi Simon s'applique avec un souci un peu maniaque, confie son collègue Alexandre.

Ton pantalon est plein porte sur une personne qui fait l'effet d'un antihistaminique à celui qui la regarde. Croquer des cous, sur Sébastien Gingras, un apprenti vampire qui se cache dans le frigo des voisins et que le chanteur, magnanime, met en garde: «Les gens te jugent en te voyant dans le frigo.» Et Nuit de la poésie, sur un exalté qui réagit comme s'il était à un concert rock et qui veut prendre tout le monde dans ses bras.

«Notre force, c'est de surprendre, dit Alexandre Parr. C'est un peu le but de cet album, en un peu moins radical que le deuxième (Grand champion international de course, paru en 2006) dans lequel les textes étaient un peu plus difficiles à comprendre. Celui-là est un peu plus simple.»

Simon Proulx parle d'un album plus réfléchi: «Celui-là, on a eu le temps d'y penser, contrairement aux autres albums, peut-être parce qu'on était plus jeunes ou qu'on les a faits plus vite. Moi, j'aime tout sur cet album, tout ce que chaque gars a fait. On sait plus qui on est et ça ressemble plus à ce qu'on aime.»

Un désir de retenue

On insistera probablement sur les nouvelles couleurs musicales (cuivres, mellotron, theremin et fanfare) ajoutées au rock des Trois Accords, mais la plus belle surprise vient sans doute de Dans le bureau du médecin, où on reconnaît le lexique du groupe, mais on cherche en vain la blague dans ce polaroid d'un patient qui broie du noir à l'idée d'apprendre une mauvaise nouvelle.

«Cette chanson-là, je n'étais même pas sûr de vouloir la présenter au groupe parce que, justement, ce n'est pas crampant, raconte Simon. Je l'ai jouée à Olivier et il m'a dit qu'on devrait la faire quand même. Mais elle ne donne pas trop dans le dramatique, il y a comme un désir de retenue.»

Olivier Benoit, le sympathique grand sec dont la voix recto tono était indissociable du son des Trois Accords, a décidé l'hiver dernier de se tirer sa révérence pour devenir l'imprésario du groupe. Parce qu'il ne jouait pas d'instrument, on s'est parfois demandé ce qu'il faisait sur scène, mais son absence forcera Proulx, Parr, le bassiste Pierre-Luc Boisvert et le batteur Charles Dubreuil à revoir leur façon de faire en spectacle.

«Tout le monde sous-estime le rôle qu'il avait sur scène, dit Alexandre. Quand on est derrière le micro, on ne peut pas se promener partout et aller chercher le public. Olivier le faisait.»

«C'était cool parce qu'on avait un membre qui faisait ce que personne d'autre ne fait», ajoute Simon, qui a perdu en Olivier le complice avec qui il pouvait déconner à souhait devant le public.

Les Trois Accords donneront quelques concerts au Québec, au Nouveau-Brunswick et en Alberta cet automne. Ils joueront notamment à Drummondville le jour du passage de la flamme olympique, le 6 décembre. Mais leur véritable rentrée se fera en février.

Ils pourront alors constater de visu si leurs nouvelles chansons atteignent le but qu'ils s'étaient fixé en entrant en studio avec Gus van Go: faire un album festif, encore plus fidèle à l'image de groupe de party qu'ont toujours eue les Trois Accords.

 

EN UN MOT

Un groupe original dont le rock énergique et les textes absurdes ont conquis le Québec tout entier, qui a acheté au delà de 250 000 exemplaires de ses deux premiers albums.