RIP-V, jeune entreprise de Saint-Lambert, est devenue depuis le printemps dernier l'unique fabricante de disques vinyles au pays. Anachronisme? Le carnet de commandes de Philippe Dubuc, copropriétaire, président et unique ouvrier (pour l'instant!) de l'entreprise ne cesse de croître.

«Pour l'instant, je fonctionne à six presses, cinq jours sur sept. Je fabrique jusqu'à 5000 disques par semaine, mais je pourrais facilement monter à 20 000» si ses sept presses additionnelles étaient mises en fonction, raconte Dubuc, jeune quarantaine, qui reprend aujourd'hui un art qu'on disait perdu: la fabrication d'un support musical qui n'aurait jamais dû survivre à la révolution numérique.

 

Ironiquement, le bon vieux vinyle semble aujourd'hui mieux outillé que le CD pour passer à travers de la crise du disque.

«Ce qui est paradoxal dans le retour du vinyle, c'est qu'il ait été poussé par la musique numérique, dit l'entrepreneur. C'est sûr qu'une table tournante ne remplacera jamais un iPod, mais je crois que les deux sont compatibles. Le vinyle offre une belle pochette - les artistes ne pensent pas à une pochette pour qu'elle soit affichée, un pouce sur un pouce, sur l'écran de ton iPod. Le retour du vinyle, à mon avis, est désiré autant par les artistes que par les mélomanes.» D'autant plus, ajoute Philippe Dubuc, que la norme aujourd'hui est de vendre un disque vinyle avec un code pour télécharger légalement l'album, comme le fait For Those About to Love...

Si on en croit les médias qui, l'année dernière, ont vite tiré des conclusions de statistiques de ventes d'albums fournies par la RIAA, le vinyle serait en train d'effectuer un fulgurant retour. La réalité est un peu plus modeste: malgré tous les efforts investis par les majors en Amérique du Nord, le vinyle n'est tout simplement jamais disparu, recherché par un type, fervent mais minoritaire, de mélomanes.

«Mais c'est quand même vrai qu'il y a aujourd'hui davantage de vinyles sur le marché», assure Dubuc. La croissance de son entreprise en témoigne: «La semaine dernière, j'ai fabriqué 3000 exemplaires d'un coffret collector du groupe Rancid, pour le label Epitaph, en plus de quelques autres petites commandes».

Au cours des derniers mois, même les artistes d'ici ont redécouvert les vertus du 12 pouces: Plaza Musique a lancé un EP en laque noire, Orange Orange a sorti son premier album sur un élégant vinyle coloré (accompagné du CD), au lancement de We Are Wolves, les fans pouvaient acheter un exemplaire vinyle d'Invisible Violence mettant en valeur sa superbe pochette, pour ne nommer qu'eux. Contrairement à ceux-ci, For Those About to Love... est le seul à avoir fait presser ses albums chez RIP-V. «Ma croissance se fait par bouche-à-oreille», dit Dubuc, dont l'entreprise est la copropriété du distributeur indépendant FAB, lequel a investi pour le rachat de 14 vieilles presses à vinyles, dénichées au New Jersey.

Son entreprise coordonne toutes les étapes de production d'un disque vinyle. La laque, le disque qui servira à confectionner le moule, est découpée chez Chicago Mastering, qui l'achemine ensuite à Mastercraft Metal Finishing, qui fabrique le moule du disque permettant à RIP-V de presser les albums. La matière plastique est achetée des États-Unis, après avoir été importée de Thaïlande auprès de la plus importante fabrique de vinyle à disques. Les pochettes, elles, sont fabriquées à Montréal - la plus importante entreprise d'impression de pochettes de vinyles en Amérique du Nord.

Puisqu'on y est, tranchons donc la question: vos vinyles ont-ils un meilleur son que les CD, monsieur Dubuc? «Évidemment, ça dépend du système de son dont on dispose, répond-il. Mais il y a certainement une différence entre le CD et le vinyle, surtout si le disque est pressé en 180 grammes, comme il m'arrive d'en faire. Sur vinyle, t'entends des fréquences qui n'existent pas en CD...»