Le 27 novembre dernier, l'orchestre El Gran Combo de Puertorico a rempli le Théâtre Olympia.

Le temps d'une soirée, la vénérable salle de la rue Sainte-Catherine s'est transformée en une immense piste de danse en feu. Deux mille personnes - pour la plupart des latinos - se sont déhanchées sur la salsa pétaradante de la formation portoricaine.

Le lendemain, le groupe ivoirien Magic System s'est produit au Métropolis. Malgré un retard indécent, le concert a fini par débuter. Pendant plus d'une heure, Montréal a vibré au son des musique zouglou et coupé décalé, les nouveaux sons «hip» d'Afrique de l'Ouest.

Étiez-vous au courant? Probablement pas.

Chaque mois, voire chaque semaine, des groupes et des artistes étrangers viennent se produire à Montréal en restant totalement en dehors du radar mainstream. Les médias grand public n'en parlent pas. Mais les billets se vendent, et parfois même très bien. La plupart du temps, l'ambiance est complètement dépaysante. Quand le public ne danse pas, il se lève de son siège, chahute, s'esclaffe, interagit avec l'artiste - qui le lui rend généralement assez bien. Évidemment, tout cela se passe dans une langue incompréhensible, ce qui rend l'expérience encore plus exotique.

Véritable monde parallèle, cette scène «ethnique» est loin d'être récente, souligne Yves Bernard, spécialiste de musiques du monde et animateur de l'émission l'Entremuse à CIBL. «Mais avec l'explosion de l'immigration à Montréal, c'est vrai qu'elle se développe de plus en plus. Cela ne se fait plus nécessairement dans des appartements, comme avant, mais dans de vraies salles de spectacle, souvent en plein coeur du centre-ville.»

Attention, on ne parle pas ici de la scène world hyper organisée, qui anime le circuit des salles institutionnelles et des grands festivals internationaux. Le réseau qui nous intéresse se concentre sur des vedettes locales ou nationales, très populaires dans une communauté, mais rarement en dehors. Bals haïtiens, shows latinos, concerts congolais, soirées de raï algérien ou spectacle caritatifs vietnamiens...

Le phénomène est impossible à quantifier. Trop underground pour être comptabilisés, ces concerts passent complètement sous le radar de l'industrie officielle et de l'Observatoire de la culture. Comme le dit Yves Bernard, «pour avoir réponse à cette question, il faudrait appeler tous les petits producteurs qui appartiennent à la centaine de communautés culturelles de Montréal».

Pas toujours très rose

Tout n'est pas rose dans cet univers précaire et hautement compétitif. Les concerts se font sans subventions, avec des budgets limités, et un parc technique parfois douteux. Faute de moyens, la promotion est souvent bancale. Sans parler de tous ces producteurs improvisés, surgis de nulle part, qui se lancent sans expertise.

Certains le font par appât du gain, d'autres pour faire de la pub à leur commerce, ou tout simplement pour se donner du «standing». Mais peu importe la motivation, la plupart ne font pas leurs frais.

«C'est un marché qui bouillonne, mais qui est encore victime de son manque de professionnalisme, résume Dan Behrman, animateur de l'émission de musiques du monde à Espace Musique. Certains individus embarquent en croyant faire un gros coup de fric. Mais ils finissent souvent par se perdre en chemin. Cela dit, il y en a quand même qui s'en sortent très bien.»

Évidemment, toute cette circulation provoque une solide concurrence entre promoteurs. Selon ce qu'on sait, ces rivalités n'ont pas toujours été très élégantes, particulièrement du côté de la communauté haïtienne. Mais il semble que tout soit rentré dans l'ordre... pourvu que chacun respecte les platebandes de l'autre.

Facebook, la solution?

Le public ethnique, c'est bien, mais le grand public, c'est encore mieux. Or, pour l'instant, les spectacles sont rarement annoncés en dehors des communautés et les publicités, sont limitées aux journaux et à la radio ethniques, ou à de simples feuillets distribués dans les commerces.

«Ce n'est pas faute d'avoir essayé», observe Carlos Ramos, de Tumi Prints, qui se spécialise dans la coproduction de spectacles latinos. Mais la promotion coûte cher. Très cher. «Les gros journaux demandent beaucoup trop pour notre budget, alors on n'a pas le choix de se rabattre sur les petites publications. Une pub coûte entre 5000$ et 10 000$ dans un grand journal francophone. Dans le Chasqui (journal latino de Montréal) elle coûte 350$. Ce n'est pas compliqué: c'est pour ça qu'on reste dans notre communauté.»

Pour la première fois l'automne dernier, M. Ramos a utilisé Facebook pour annoncer le spectacle du El Gran Combo de Puertorico à l'Olympia. À sa grande surprise, l'opération fut un succès.

M. Ramos est convaincu que cette nouvelle stratégie a contribué à remplir la salle au-delà de ses prévisions. «Ça nous a permis d'aller chercher une autre clientèle. Moi j'ai vu la différence. Alors pour l'avenir, en ce qui me concerne, c'est par là que ça va passer...»