En décembre dernier, Malajube n'a pas sorti son mini-album Contrôle en format CD. Le EP est paru seulement en MP3 et en édition limitée de 300 vinyles, qui se sont rapidement vendus. «C'était une belle expérience pour les gens qui étaient prêts à l'acheter», indique Francis Mineau, le batteur du groupe. Ça favorise l'idée de collection de l'objet, et ça montre qu'on peut faire les choses de façon différente, sans intention mercantile.»

Francis Mineau n'écoute jamais de CD. Ce propriétaire de plusieurs tables tournantes achète des vinyles, et il n'est pas le seul... L'année 2009 a même été une année record pour la vente de vinyles depuis 1991. Au Canada, il s'en est vendu cinq fois plus en 2009 qu'en 2007, selon Nielsen SoundScan (voir tableau).

La proportion de vinyles vendus représente moins de 2% des ventes totales, mais elle augmente de façon exponentielle alors que la vente de CD chute considérablement. Les ventes de vinyles ont bondi de 90%, de 2007 à 2008, et de 33%, de 2008 à 2009 (aux États-Unis), tandis que celles des albums ont chuté de 14% et 13%.

Les chiffres de SoundScan seraient toutefois inférieurs aux ventes réelles de vinyles. «La majorité des vinyles se vendent dans des magasins indépendants, qui ne sont pas tous comptabilisés par SoundScan. Et c'est souvent dans les shows que les groupes les vendent», explique Philippe Dubuc, l'homme derrière RIP-V, la seule entreprise qui presse des vinyles au Canada (voir autre texte).

Photo: Ivanoh Demers, La Presse

Richard Desjardins

Les grandes chaînes s'intéressent néanmoins au regain de popularité des vinyles. «Tout dépend des magasins, mais on fait de la place pour en entrer», explique Dominic Viseur, gérant de catégorie chez Archambault.

«Il y a une plus grande demande, mais il y a plus d'offre aussi, souligne-t-il. Il y a de plus en plus d'artistes québécois francophones qui sortent des vinyles: Ariane Moffatt, Jean Leloup, Pierre Lapointe...»

Chez 33 Tours, sur l'avenue du Mont-Royal, les vinyles ont presque toute la place, que ce soit les nouveautés de Spoon ou Charlotte Gainsbourg, des rééditions des Beatles, ou des disques usagés de collection. Il y a même le vinyle de la version anglophone de la chanson du film Opération beurre de pinottes, chantée par Céline Dion. Son prix de vente: 299$.

Photo: Ivanoh Demers, La Presse

Jean Leloup

«Il y a trois ans, j'avais 50% de vinyles et 50% de CD. Aujourd'hui, j'ai 90% de vinyles et 10% de CD», explique le propriétaire Pierre Markotanyos, qui compte Francis Mineau, Dumas et Damien Robitaille parmi ses fidèles clients.

33 Tours a connu sa meilleure année en 2009. «Les ventes totales de vinyles restent minimes, mais on est très peu à s'y consacrer», explique Pierre Markotanyos. Il compte autant parmi ses clients des jeunes hipsters qui découvrent les vinyles, que des baby-boomers nantis qui ont des «salles d'écoute» de musique dont l'équipement vaut 50 000$.

Mais pourquoi la jeune «génération iPod» revient-elle au vinyle? «C'est hip, c'est rétro et c'est cool», indique Pierre Markotanyos.

Photo: Ivanoh Demers, La Presse

Coeur de Pirate

En plus, la plupart des nouvelles sorties en vinyle sont dotées d'un code de téléchargement pour pouvoir avoir les chansons en format MP3.

Des vinyles avec des codes de téléchargement

Marc-André Laporte, directeur marketing chez CISM, croit que la combinaison MP3/vinyle va détruire le CD. «C'est le meilleur des deux mondes», assure le chroniqueur MC Gilles, pour qui les vinyles sont «un dada». «Tu as le MP3, mais aussi l'objet.»

Mais pourquoi écouter un vinyle? «C'est un événement, un moment quand je le fais, indique Marc-André Laporte. Ce n'est pas juste de la musique en background et du random sur iTunes.»

Les iPod ont ramené la mode des singles. Et selon MC Gilles, le vinyle ramène l'esprit des albums. «Jaune de Jean-Pierre Ferland, tu l'écoutes d'un bout à l'autre. C'est un concept.»

Beaucoup d'amoureux des vinyles ont répondu à notre appel à tous. Ils ont décrit chacun à leur façon l'«expérience» de la table tournante. C'est «un moment», «un rituel». «J'aime tenir la pochette dans mes mains», «les crépitements du son», ou «me lever pour aller changer le disque de côté», nous a-t-on raconté.

«Les vinyles, ç'a l'air cliché à dire, mais c'est sacré, dit Étienne Fournier, travailleur autonome pour la télévision. Tu écoutes des MP3 en faisant d'autres choses. Quand tu mets un vinyle, tu t'assois et tu écoutes la musique.»

Les pochettes grand format sont aussi des oeuvres d'art pour leur propriétaire. Étienne Fournier tient beaucoup au vinyle de la musique du film Il était une fois dans l'Ouest («avec le titre en français») qui est encadré et accroché au mur de son appartement.

Par rapport à un CD en plastique, un vinyle est un «bel objet» qui reste. Selon Mathieu Valiquette, responsable du contenu chez zik.ca, le retour au vinyle s'explique notamment par le fait que «la musique s'est dématérialisée» avec l'arrivée des MP3. «Il y a aussi une aura cool», ne cache-t-il pas.

Pour Rosalie Vézina, la table tournante et des boîtes de disques données par un ami l'été dernier sont devenus une véritable «passion». «Depuis que j'ai ma table tournante, il arrive souvent que j'aime mieux ne pas sortir et passer ma soirée à écouter des vinyles.»

L'étudiante de 25 ans en relations publiques passe des heures à la boutique Death of Vinyl, sur le boulevard Saint-Laurent. «Pour un vinyle intéressant, tu en as 300 que tu ne connais pas. Mais j'aime trouver des perles rares.»

«Oui, il y a un trip vintage depuis un bout, mais c'est plus que ça. C'est pas de la nostalgie, mais le contact avec la musique.»

Là pour rester, ou juste un buzz?

Éli Bissonnette, patron des étiquettes Dare to Care et Grosse Boîte, rappelle que les vinyles ont toujours été bien vivants dans le milieu punk. «Dans ma tête, le vinyle n'est jamais mort.»

Tricot Machine, Malajube, Coeur de pirate, We Are Wolves... beaucoup d'artistes de son écurie voient leur album sortir en vinyles.

Bissonnette a même lancé Grosse Boîte en sortant l'édition vinyle limitée de l'album Mexico de Jean Leloup, qui était pourtant sorti avec une autre étiquette, celle du Roi Ponpon. Les 500 exemplaires se sont rapidement écoulés. «Je trouvais que c'était une erreur de ne pas sortir le disque en vinyle. C'est un format que j'affectionne particulièrement.»

Selon lui, le CD n'a plus sa raison d'être. Le MP3 a «son côté pratique» et le vinyle a «son côté objet», mais en mieux.

Éli Bissonnette n'est pas d'accord avec Alexandre Kano, propriétaire du Moog Audio, qui croit que le regain d'intérêt pour les vinyles chez les consommateurs est un «trend passager». «Oui, c'est plus fort en ce moment, mais ça va toujours être là.»

À la mode ou non, le vinyle est pour Francis Mineau un objet «précieux» qui «demande de la délicatesse». «C'est ça que j'écoute», conclut-il bien simplement.