Arvo Pärt fascine les mélomanes, bien au-delà de la communauté sérieuse à laquelle on l'associe. Et bien au-delà des adeptes de la pensée mystique (chrétienne) ayant inspiré son oeuvre. La violoniste Angèle Dubeau a réalisé l'ampleur de cet impact, au point de consacrer au compositeur estonien un album de La Pietà.

Un samedi de novembre, on se rend à la salle multimédia de l'école de musique Schulich de l'Université McGill, soit l'une des salles d'enregistrement les plus impressionnantes que compte Montréal. Remarquable à cause de sa taille gigantesque (pour un studio), le lieu est idéal pour un orchestre de chambre ou un orchestre symphonique.

 

Au milieu de la salle, les musiciennes de La Pietà sont à l'oeuvre. L'enregistrement de Cantus, pièce-hommage dédiée à Benjamin Britten, nous met illico dans l'esprit de recueillement que commande la musique d'Arvo Pärt. Le vaste studio est devenu un temple!

Carl Talbot, que le producteur Mario Labbé considère comme le meilleur preneur de son au Canada, a été complètement soufflé dès les premières répétitions des oeuvres (ou extraits d'oeuvres) au programme. «Il n'en revenait pas», résume fièrement le mari d'Angèle Dubeau, pendant que cette dernière distribue les consignes et se rend à la régie - afin d'y évaluer ce qui vient d'être joué et d'en discuter avec son réalisateur.

Pour Angèle Dubeau, Arvo Pärt est de ces compositeurs capables d'extirper le maximum du minimum. Pour qui le dénuement et la simplicité n'ont rien de facile. «Son oeuvre exige une recherche au coeur de la matière première de la musique. Car sa musique est dénuée d'artifices. Arvo Pärt, c'est la simplicité, mais c'est aussi la sagesse.»

Sept pièces ou extraits de pièces figurent au programme: Summa, Cantus in memoriam Benjamin Britten pour orchestre à cordes et cloche tubulaire, deux mouvements de Tabula rasa (Ludus et Silentium) écrit pour deux violons solistes (le second étant Josiane Breault), cordes et piano préparé, Wallfahrtslied (Pilgrim's Song) avec choeur d'hommes, l'épitaphe Mozart-Adagio, relecture en trio de l'adagio de la Sonate K.280, ainsi que Spiegel Im Spiegel, préalablement enregistré par Angèle Dubeau pour son album Un conte de fées.

Une signature unique

Et pourquoi Arvo Pärt, Angèle Dubeau?

«Sa musique m'interpelle depuis plusieurs années, répond-elle au lendemain du lancement de l'album Arvo Pärt/Portrait. Ce compositeur a une signature unique. Sa musique m'apaise, mais peut aussi me conduire dans des zones inconnues.»

Pour bien vivre cette musique en tant qu'interprète, Angèle Dubeau estime qu'il ne faut pas avoir peur de fouiller le spectre entier de ses propres émotions. «Certains y voient un apaisement, d'autres sont troublés. En jouant Pilgrim, par exemple, j'ai l'impression de me situer entre notre monde et l'au-delà. Des ombres, une certaine inquiétude...»

La dimension texturale de cette musique a aussi séduit la musicienne.

«Pour moi qui suis une tripeuse de son, c'est un pur bonheur que de recréer les couleurs d'Arvo Pärt avec La Pietà. En tant que soliste et chef, je me suis amusée à trouver le maximum possible de couleurs et textures émanant de son oeuvre.»

Quant à la simplicité presque déconcertante de cette musique, Angèle Dubeau suggère ces considérations: «Prenons le premier mouvement de Tabula rasa; ça a beau être simple d'apparence, il y a quand même pas mal de gymnastique pour violoniste! Toutes les cordes de l'instrument sont mises à contribution, le registre de l'instrument est exploité au maximum. Pour ma partie, je dois jouer tellement haut que ça devient un inconfort.

«Non seulement Pärt exploite toutes les notes de l'instrument, mais il explore tout le spectre de la nuance. Le silence, par exemple, est partie intégrante de sa musique, on le vit intensément. Prenons le Cantus: ça commence dans la ténuité et ça se conclut dans la puissance. On sent alors les vibrations sur la mentonnière pendant qu'on tient les notes, le clash de dissonances finit par faire mal et pouf! ça relâche. On termine sur la tonalité, sur les notes parfaites de l'accord. Et on a la chair de poule. C'est ça, Arvo Pärt.»

Qu'on soit croyant, agnostique ou athée, cette musique résulte d'une disposition spirituelle évidente. Qu'en dit Angèle Dubeau? «On ne peut dissocier le mysticisme d'Arvo Pärt de sa musique. Pour moi qui ne suis pas croyante, cette musique impose le