L'omniprésence de l'anglais samedi dernier aux Victoires a suscité un déluge de réactions sur le blogue d'Alain Brunet (cyberpresse.ca/brunet). Voici ce qu'en pense notre critique.

Pour nombre de francophones d'Amérique, visionner les dernières Victoires françaises de la musique a été troublant. Environ la moitié des numéros prévus au programme se sont déroulés en anglais (hommages à Michael Jackson, Stevie Wonder). Et l'on ne compte pas les nominations de groupes ou artistes s'exprimant en anglais.

Voyons voir.

Pony Pony Run Run, un groupe frenchy-anglo, y a été sacré «révélation de l'année» Trois groupes convertis à l'anglais (Slimmy, Revolver et Yodelice) étaient en lice pour «l'album révélation de l'année» et Yodelice est reparti avec la statuette.

Shaka Ponk et Izia, en nomination dans la catégorie «révélation scène de l'année», se sont aussi exprimés dans la langue de Shakespeare. Izia, la fille de Jacques Higelin aux accents de Janis Joplin, a remporté cette Victoire.

On n'oublie pas le fameux IRM créé par Beck pour Charlotte Gainsbourg, en lice dans la catégorie «album de l'année» (mais battu par La Superbe, de Benjamin Biolay).

Certains ont un accent à couper au couteau. D'autres font carrément des fautes de grammaire.

Forcément, ça interpelle les locuteurs de l'espace francophone. Si le showbiz français adopte une telle attitude, à quoi bon continuer de résister en Amérique? Et comment envisager l'avenir de la chanson d'expression française sur le long terme?

Chez les cousins, on voit peut-être les choses autrement. Là-bas, plusieurs artistes émergents y voient une façon pratique de communiquer à travers l'Union européenne plutôt que de maîtriser trois, quatre ou cinq langues. On chante en anglais afin de s'y faire comprendre et ainsi faire en sorte que les chansons traversent rapidement les frontières du vieux continent. Et puisque la pop culture la plus attractive demeure l'anglo-américaine, des centaines de jeunes artistes français y sautent à pieds joints, tout en sachant que les pays non anglophones seront moins pointilleux sur l'accent et la qualité du texte. Ainsi, une portion importante de la relève française préfère un anglais «créolisé» au plurilinguisme qui a longtemps prévalu en Europe.

D'un point de vue européen, donc, chanter en anglais consiste davantage à faire partie de la nouvelle culture européenne (et de la culture occidentale) que de plier l'échine devant les Américains ou les Britanniques. Et comme la langue commune d'Europe ne sera vraisemblablement pas l'esperanto, on peut comprendre les Victoires de la musique témoigner d'une réalité tangible chez les jeunes artistes et les jeunes groupes de France, aussi paradoxal que cela puisse paraître de ce côté de l'Atlantique.

En Europe du Nord, quantité de groupe chantent en anglais depuis des années (The Cardigans, The Nits, Deus, Björk, Scorpions, Rammstein). Abba le faisait déjà il y a longtemps.

Revenons à notre présumée indignation: en Amérique francophone, où le moindre recul linguistique est perçu comme une menace à notre survie, une telle masse de chansons anglaises présentées au grand gala de l'industrie française est une manifestation frappante du déclin de notre langue dans le monde. Pis encore, une (autre) démission de la «maison-mère» qui hypothèque notre avenir.

Or, nous avons aussi nos Pascale Picard et reprises de succès anglo-américains entonnées par Sylvain Cossette... qui n'ont d'impact qu'à l'intérieur des limites de la francophonie. (Bien sûr, Céline Dion fait figure d'exception.) En France, c'est idem: de rares exceptions séduisent les «vrais» anglophones, le groupe Phoenix et David Guetta pour prendre des exemples récents. Depuis des décennies, en tout cas, il se trouve chez nous de jeunes artistes francophones qui souhaitent embrasser la pop culture occidentale en s'exprimant en anglais. Très peu y parviennent, très peu y parviendront.

La cohésion de la francophonie est essentielle au maintien et l'émancipation du français. Rien n'empêche ces tentatives anglophones sur les marchés occidentaux, mais l'espace francophone doit être beaucoup plus mieux soudé qu'il ne l'est aujourd'hui.