Éternelle égérie, Françoise Hardy a 66 ans... et lance mardi La pluie sans parapluie, un disque admirablement troublant, fervent et frémissant. Et très pop, au sens noble du terme. Au bout du fil, l'auteure de Tous les garçons et les filles nous parle de cet album où ses propres (magnifiques) textes côtoient ceux d'Arthur H., Jean-Louis Murat, Calogero et compagnie.

Q Il me semble qu'on n'a jamais si bien entendu votre voix, vos mots que sur cet album, qui doit bien être votre trentième en carrière!

 

R Ah, là, vous me faites très plaisir: je pense que j'ai effectivement la voix plus dégagée et c'est à cause de mon cher Thomas (son fils Thomas Dutronc, guitariste hors pair). C'est étrange, Thomas est avant tout musicien, mais pour lui, il est impératif qu'on comprenne les paroles. Je lui ai donc fait écouter mes chansons après un premier enregistrement et il m'a dit: «Maman, fais attention, c'est très embêtant, on ne comprend pas ce que tu chantes.» Or, jusqu'ici, j'avais plutôt tendance, de même que mes réalisateurs, à ne pas mettre les voix à l'avant. Cette fois, à cause - ou grâce - à Thomas, j'ai chanté autrement.

Q Depuis vos débuts (en 1962, à 18 ans), vous avez enregistré énormément d'albums, est-ce que cela devient plus facile d'en faire avec les ans?

R Pour moi, c'est à la fois très simple et très compliqué. La difficulté, c'est de trouver de bonnes mélodies: je suis tributaire des autres puisque je ne compose pas, je dépends donc des mélodies qu'on m'apporte et je cours toujours le risque de faire des disques trop hétérogènes. Car j'ai le souci d'écrire des textes qui servent la mélodie, jamais le contraire. Alors, quand Calogero m'a apporté la musique de Noir sur blanc, ça a été un cadeau du ciel, une source d'inspiration pour moi. Et quand j'ai écouté Les mots s'envolent, dont Arthur H. a fait la musique et les paroles - c'est magnifique, n'est-ce pas? -, j'ai su tout de suite qu'elle allait clore l'album. J'aime bien ces musiques qui m'ont donné envie de parler du fantasme (Noir sur blanc, Mieux le connaître, Champ d'honneur), un fantasme qui se transforme peu à peu en déception, puis en deuil, mais sur des mélodies assez aériennes, dansantes.

Q Certaines chansons ont une couleur musicale particulière, comme Esquives et Mister, qui sont comme une respiration au milieu de l'album. Pourquoi?

R Alors, là, je sais que je ne devrais pas vous dire cela, mais... Bon, voilà, le disque devait au départ être coréalisé par Mark Plati (Bowie, The Cure, Bashung, Rita Mitsouko et, récemment, Charlie Winston). Seulement, en deux jours avec Plati, nous n'avions fait que sept rythmiques et là, j'ai pris la mauvaise décision: j'ai paniqué et j'ai décidé d'arrêter la collaboration avec lui. C'est mon erreur, quoi, car finalement, on a gardé énormément de choses qu'il avait préparées. C'est aussi pour cela qu'il y a plusieurs réalisateurs. Ah, ça me fait drôle que vous les aimiez, ces chansons, elles me semblaient moins marcher...

Q Vous avez publié l'an dernier vos mémoires (Le désespoir des singes... et autres bagatelles, best-seller en France), étonnamment révélatrices sur votre vie personnelle, surtout de la part d'une artiste réputée pour sa discrétion. Est-ce que le goût d'écrire a pris le pas sur le goût de lire pour vous?

R Alors, d'abord, j'avais besoin d'écrire ces mémoires et plutôt que laisser n'importe qui le faire à ma mort, j'ai donc décidé de les écrire moi-même et j'en suis très heureuse. Mais je ne cesserai jamais de lire, lire et lire: la lecture me rend heureuse, c'est pour cela que j'ai écrit la chanson Un coeur éclaté, d'ailleurs, pour rendre hommage au roman de Rosamond Lehmann, qui m'a beaucoup touchée, je crois que j'ai presque tout lu ses livres. Mais vous savez quel est l'auteur qui me comble de bonheur actuellement? Je vous jure, je suis devenue complètement accro, c'est de l'ordre de la pathologie: c'est Henry James (écrivain new-yorkais du XIXe siècle). Oui, oui, Henry James. Chaque fois que je le lis, je me sens bien. J'oublie tout. Il y a peu de choses dans ma vie qui m'amènent autant de bonheur que de lire Henry James...