Cinq ans séparent L'Écho, dernier album d'Ève Cournoyer, et Tempête, qu'elle met au monde jeudi soir au Lion d'Or. Troisième opus de celle qui a commencé à faire des chansons à 27 ans. Celle qui, au terme d'un épisode douloureux de l'existence, s'est mise à créer pour conjurer le sort. Pour faire sortir le méchant, certes, mais aussi pour toucher la lumière.

Succès d'estime, reconnaissance de ses pairs, premières parties de Richard Desjardins, de très bons amis qui n'hésitent pas à la financer... et pas toujours cette précarité économique à l'âge de 41 ans. Telle est la trajectoire de cette grande, intense, vive, et tenace Ève Cournoyer, qui sirote paisiblement son thé vert devant le scribe. L'exercice, vous l'avez deviné, consiste à défendre cet album qu'elle a entièrement conçu, produit, réalisé avec le concert de ses collègues (Guillaume Bourque, Simon Dolan, Rémi Leclerc, Étienne Morin, Jean-Philippe Villemure) et de très bons amis qui l'ont aidée à payer les factures.

«Ils savent que je les rembourse immanquablement, ils me font confiance. Après? le spectacle. Une tournée en vue? Je l'attends toujours. On fait le tour du bloc, on revient... Un manager? J'espère l'apparition de la perle rare. Et je ne peux tout faire. Depuis longtemps, j'ai choisi d'élever ma fille Jeanne qui a maintenant 15 ans. Lorsqu'elle ira au cégep et qu'elle deviendra adulte, ce sera plus facile... D'autant plus que j'ai pris du métier, de l'assurance.»

Même si «late bloomer» toujours en quête d'un statut qui lui permettra une certaine indépendance financière, Ève Cournoyer persiste et signe, refusant l'aumône et le misérabilisme.

L'adversité, elle connaît. Le courage et la fierté itou. Rembobinons pour mieux comprendre. Graduée de Musitechnic, une jeune femme de la Montérégie avait commencé sa vie adulte dans les studios d'enregistrement. Les leçons de piano de son enfance avaient tout de même laissé des traces; sonorisatrice, elle savait lire la musique et comprenait l'harmonie...

«À la fin de cette autre vie, se souvient-elle, j'étais devenue une mauvaise employée; j'avais le coeur brisé parce que ma fille devait aller à la garderie. Et puis j'ai vécu une séparation. C'est alors que j'ai commencé à écrire des chansons, façon bûcheron. Vraiment un miracle que d'avoir écrit des poèmes dans l'autobus, d'avoir pogné la vieille guitare qui traînait dans le coin, pour ensuite tirer profit de mes acquis en sonorisation.»

Ce qui justifie encore aujourd'hui, cette rime plantée dans le chorus de sa première chanson au programme: «Je chante pour survivre, mon amour.»

«Je suis plus chansonnière que chanteuse, rappelle-t-elle. Mes chansons, je les gosse! Je n'interprète pas celle des autres, sauf exception - sur scène, j'ai fait une adaptation de Bird on the Wire, de Leonard Cohen.»

Courage, fébrilité, sensibilité à fleur de peau, idées lumineuses, idées sombres. Urgence dans le propos. Mon Dieu qu'il doit y avoir des nuits agitées! On le lui dit, elle rit de bon coeur.

«Je dors très bien, assure-t-elle, avant d'admettre: Bien sûr, on écrit ce qu'on vit. Je suis Plateaupithèque, je suis une artiste au salaire moins que minimum, ça me mène peut-être à écrire des chansons comme celles-ci. Oui, je suis capable de faire des albums avec pas trop d'argent, mais il me faut aussi payer le loyer, nourrir et éduquer ma fille. Avec zéro filet de sécurité.»

«Et je pense aussi aux autres qui souffrent, ajoute-t-elle, à ce monde qui va mal, à tant de choses qui m'énervent. Ça va pas bien à Montréal, beaucoup de pauvreté. La rue Sainte-Catherine pas loin du Quartier des spectacles, c'est tellement triste! Oui, les côtés sombres de la vie me rentrent dedans. J'ai une marée noire assez répandue entre les oreilles. Je ne suis pas une optimiste.

«Et puis je me considère comme féministe. Je ne suis pas là pour faire la jolie, toujours de bonne humeur. Mes idoles sont Clémence Desrochers, Pauline Julien, Françoise Hardy... Cette dernière ne se voit pas féministe? En tout cas, elle a une vie artistique autonome, elle s'affirme. Je m'affirme aussi à travers ma vie de femme.»

Attribuons-lui, de surcroît, un esprit vachement rock au-delà de ses velléités chansonnières. Tangible sur Tempête, dont le titre n'évoque certes pas un album de berceuses.

«Tempête? Je cherchais un titre qui me plaisait. Qui pouvait représenter comment je me suis sentie dans ce projet. Au cours des cinq dernières années, j'ai traversé des dépressions atmosphériques, tremblements de terre, déménagements, crises de quarantaine, refus de subventions, refus de prêts bancaires... Mais j'ai également ressenti beaucoup de joie à créer cet album.»

Après la tempête sous un crâne, il peut y faire soleil...

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Jeudi soir, Ève Cournoyer lance et joue Tempête, 21h, au Lion d'Or, précédée du reggae-rock de Le Fruit à 20h.