«Une reprise qui fonctionne, ça ressemble à Back to the Future: c'est un chanteur qui retourne dans le passé pour changer le destin d'une toune», explique Stéphane Laporte, directeur artistique des albums de Star Académie depuis 2003. Très juste, mais que faut-il donc pour qu'une reprise fonctionne? Comment expliquer que le répertoire de tel auteur-compositeur se prête plus aux relectures que celui d'un autre? Telle est notre question, en cette époque où la reprise abonde sur disque, au Québec.

Ces temps-ci, les chansons de Daniel Bélanger sont réinterprétées par plusieurs artistes: Maxime Landry reprend Dis tout sans rien dire, Gaële vient d'enregistrer La folie en quatre, Ariane Moffatt interprète Imparfait sur scène. Même le petit Jacob, chanteur de 12 ans qui a lancé un premier album il y a quelques mois, propose une relecture de Dans un spoutnik! Quatre chansons d'un même auteur... Pourquoi Bélanger plutôt que Leloup? Et, au fil des ans, pourquoi Ferland et Desjardins plutôt que Charlebois ou Dubois? Que le répertoire des Trois Accords ne se prête pas aux reprises, on le comprend, mais Desjardins est au moins aussi particulier, avec son accent et son vocabulaire profondément québécois!

«Oui, mais ce sont les chansons à caractère plus poétique de Desjardins qui sont reprises: on reprend Le coeur est un oiseau, Lucky lucky ou Tu m'aimes-tu, mais pas Buck ou Le bon gars, sauf parfois en spectacle, jamais sur disque», précise Richard Baillargeon, historien en musique et auteur notamment de 401 petits et grands chefs-d'oeuvre de la chanson et de la musique québécoises, où il a justement dénombré les reprises les plus marquantes des chefs-d'oeuvre en question, le cas échéant.

À l'inverse, quand Éric Lapointe, France D'Amour ou les Denis Drolet reprennent du Plume Latraverse, ils choisissent toujours des chansons très «rentre-dedans» à la Bobépine.

«Des chansons comme À même l'avis ou La piaule de Louis, c'est trop beau, trop bien ficelé pour les Denis Drolet, expliquent les DD, ça ne se peut pas qu'on chante des textes trop poétiques. On a donc systématiquement pris des tounes plus loufoques ou plus enragées...»

«Souvent, dit Stéphane Laporte, les auteurs-compositeurs sont de grands poètes, de grands musiciens, de grands interprètes, mais pas nécessairement de grandes voix. Un chanteur à voix peut donc s'emparer d'une chanson et y apposer sa signature: c'est ce que fait Éric Lapointe quand il reprend Desjardins ou Ferland.»

«Encore faut-il que ces chansons permettent aux chanteurs à voix de réaliser leurs prouesses, précise Laporte. Les chansons de Charlebois, par exemple, sont plus fantaisistes et psychédéliques que des chansons à s'ouvrir les veines - et donc les cordes vocales. Un chanteur à voix peut difficilement ajouter quelque chose à Conception ou Lindberg. C'est la même chose avec les chansons de Leloup, au débit très rapide.»

«Leurs chansons sont des monologues, de petites pièces de théâtre faites pour leur personnage de scène, conclut-il. Un interprète aurait l'air de les imiter en reprenant une de leurs chansons.» Ce serait tout aussi vrai pour qui voudrait chanter Marjo ou Pierre Lapointe.

Si les chansons de Dubois sont rarement reprises, c'est parce qu'il est à la fois auteur-compositeur-interprète et chanteur à voix, estime Laporte. «On peut difficilement surpasser l'originale au plan de la performance vocale!»

Donc, quand Stéphanie Lapointe a repris L'infidèle de Dubois, c'était plutôt pour en donner une nouvelle version plus douce, où l'amour de la musique prenait le pas sur l'infidélité. Car c'est un des plaisirs indéniables de la reprise: un autre sens peut émerger de la chanson.

«C'est le cas de Je veux tout d'Ariane Moffatt, explique Richard Baillargeon. Dans la version originale, elle explique qu'elle veut goûter à tout, alors que dans la version de Garou, cette chanson devient un clin d'oeil au thème de son disque, Gentleman cambrioleur, qui veut tout prendre!»

Pas de logique précise

Pour Daniel Lafrance, directeur général de la maison d'édition Editorial Avenue (qui «représente» les chansons de Bélanger, Loco Locass, Roger Tabra, Pierre Lapointe et bien d'autres), les reprises n'obéissent pas à une logique précise.

«Qu'une chanson soit reprise plutôt qu'une autre est un pur hasard, avec peut-être une question de timing: il faut généralement que 10, 12 ans se soient écoulés entre la version originale et la reprise», dit-il. Les succès connaissent des cycles: «Évangéline et Tu m'aimes-tu étaient de grandes chansons, et l'ont été de nouveau quand elles ont été reprises par des interprètes de Star Académie qui les ont fait découvrir à un nouveau public.»

«Sinon, dit-il, un hit reste un hit et connaîtra donc le succès 20, 30 ans après sa création. Une chanson comme Hallelujah marche à tout coup - à un point tel que Leonard Cohen vient de demander qu'il y ait un embargo sur cette chanson parce qu'il considère que le trop grand nombre de reprises est en train de la desservir!»

Notre hypothèse? Le point commun entre les très repris Vigneault, Leclerc, Ferland, Desjardins et Bélanger est le même qu'entre les très repris Brel, Brassens, Ferré et Aznavour : ces auteurs-compositeurs ont lancé leur premier album ou connu le succès après des années de galère! Leclerc avait 36 ans quand la France - puis le Québec... - l'a «découvert»; Ferland, 34 ans, au moment du succès de Je reviens chez nous ; Vigneault, 30 ans, quand il a commencé à écrire; Bélanger, 30 ans, quand il a lancé Les insomniaques s'amusent; Desjardins, 40 ans, quand est paru son disque Les derniers humains.

Qui sait si ce mûrissement lent et pénible n'a pas permis l'écriture de chansons moins égocentriques, plus larges... et donc plus propices à être reprises par d'autres?

Ou qui sait si le temps n'a pas tout simplement fait son oeuvre? Partout et de tout temps, on a repris des chansons. Mais au Québec, c'était surtout des chansons françaises ou des adaptations de l'anglais. De 1965 à 1995, les auteurs-compositeurs québécois ont réussi à créer un vaste répertoire. Peut-être est-il temps désormais de le faire revivre, aux côtés des créations originales?

Que signifie «reprise»?

Dans le cadre de ce texte, nous avons opté pour la définition utilisée par l'ADISQ: une reprise désigne une chanson déjà enregistrée par le passé, mais qui est de nouveau interprétée par un autre artiste sur disque. Cela exclut donc les albums de duos, où figure l'artiste original (exit les albums de Marjo et ses hommes, les Bijoux de famille de Ferland, les Retrouvailles de Vigneault ou l'album Studio 12). Sont également exclus les albums de musique classique, de musique traditionnelle ou de jazz interprétation. Mais cela comprend les disques hommages à un artiste ainsi que les albums de Noël - albums de reprises par excellence!

La petite histoire d'une tendance lourde

Quelques dates qui expliquent la tendance actuelle aux albums de reprises.

2003: Première saison de l'émission Star Académie; l'album tiré de l'émission, constitué de reprises par les académiciens, se vend à plus de 530 000 exemplaires (les albums tirés des éditions subséquentes de Star Ac trouveront toutes plus de 200 000 preneurs).

2007: Lancement des disques de reprises Smile d'Ima (plus de 120 000 exemplaires) et 70's de Sylvain Cossette (plus de 250 000 exemplaires). C'est également en 2007 que l'album Duos Dubois (vendus à plus de 275 000 exemplaires) donne naissance à une autre tendance: l'album de duos...

2008: Lancement du disque Lost in The 80's du trio manouche The Lost Fingers (plus de 200 000 exemplaires).

2009: Création de la catégorie «Album de l'année - Reprises» à l'ADISQ.