Jean-Louis Murat est sans conteste le plus prolifique des chanteurs français. Depuis sa dernière visite à Montréal, au printemps 2000, l'Auvergnat a lancé pas moins de 10 albums de textes finement ciselés sur des musiques d'une beauté rare. Revoilà enfin un grand de la chanson française qui n'est pas reconnu à sa juste valeur.

Au Québec, les albums de Jean-Louis Murat nous parviennent généralement avec des mois de retard, sans les DVD qui les accompagnent parfois en France. Il faut dire que l'artiste s'est fait rare chez nous: un concert intimiste au Coup de coeur francophone en 1997 puis deux soirs au Cabaret du Musée Juste pour rire il y a dix ans, où il s'est amusé à transformer ses chansons avec des machines. Heureusement, les FrancoFolies lui ont enfin mis le grappin dessus et il chantera avec ses musiciens trois soirs d'affilée à l'Astral.

 

Murat est heureux de revenir nous voir, mais il avoue candidement avoir ressenti une petite gêne à ses dernières visites: «Peut-être que c'était le côté français qui me dérangeait, dit-il en entrevue téléphonique. Quand je viens chez vous, je pense toujours tomber sur des pré-Français, des gens comme je connais ici en Auvergne, et chaque fois je tombe sur des Français ultra modernes et je suis toujours un peu déçu. Faudrait que j'aille dans la campagne, je crois...»

Murat est un original. Quand il n'enregistre pas ses propres compositions, il lui arrive de reprendre à sa manière des poèmes de Baudelaire mis en musique par Ferré (Charles et Léo) ou de chanter des auteurs méconnus des XVIIe (Antoinette Deshoulières) et XIXe siècles (PJ de Béranger). Il en parle comme d'une «curiosité professionnelle» qui l'aide un peu à se situer: «Moi, je suis provincial et, dans la réalité française, j'ai l'impression de ne jamais savoir quelle langue je dois utiliser. C'est assez troublant: on a du mal à définir une langue française qui convient à la chanson. Alors j'aime bien chanter des textes d'autres siècles, ça me remet en selle un peu.»

Explosion en direct

Quelques jours avant de lui parler, je l'ai entendu, suave d'ironie, esquiver du mieux qu'il le pouvait les questions de l'animateur d'une émission de radio française. Avec des médias qui privilégient la personnalité de l'artiste plutôt que sa création, Murat avoue qu'il essaie tant bien que mal d'être «insaisissable». Ce n'est peut-être pas l'impression qu'ont gardée de lui ceux qui ont vu sur le web ses coups de gueule spectaculaires sur les plateaux de télé en France.

«Ça m'est arrivé trois ou quatre fois, mais le problème avec l'internet, c'est que ça perdure bien sûr, se défend-il. Comme je ne suis pas un gros vendeur, je suis obligé de dire oui à quelques émissions de télé et comme il n'y a plus d'émissions de musique, on se retrouve avec ces épouvantables talk-shows à l'américaine où ce ne sont pas les idées qui comptent, mais une sorte de comportement... Ça dure des heures et des heures et, bien évidemment, à chaque fois ce petit jeu me paraissait totalement ridicule et ça me faisait exploser. L'explosion se faisait contre le système, mais en fait le système adore qu'on explose en direct sur un plateau de télé et ç'a été très néfaste pour moi. Je n'ai jamais trouvé quel comportement je devais adopter pour passer dans les médias français et j'en suis venu à la conclusion qu'il ne faut pas y aller. Mais si je n'y vais pas, je ne vends pas de disques et si je ne vends pas de disques, je ne peux pas continuer le métier. Donc je fais tout ça à reculons et dans un inconfort total.»

Le cowboy à l'âme fresh

La dernière fois qu'on l'a vu, Murat venait de lancer Mustango, enregistré en bonne partie aux États-Unis. Le hasard nous le ramène avec un deuxième album fait chez nos voisins, à Nashville cette fois: l'excellent Le cours ordinaire des choses.

Pour Murat, Nashville est «une sorte de creuset où le blues, le rhythm and blues et la country, le folklore blanc ou noir quoi, a rencontré un savoir-faire anglais ou irlandais et ça a donné de la musique populaire pendant un siècle.» Mais s'il y a dans cet album surtout pas ordinaire des guitares en abondance, dont une pedal-steel omniprésente, ça n'a vraiment rien de la carte postale du chanteur français obnubilé par le mythe américain. C'est du Murat typique, très rock par moments, qui aurait fort bien pu être enregistré en France.

«J'avais justement l'intention de faire de l'extrêmement français, d'être extrêmement moi-même parce que je sais bien que je suis dans une culture de chanson populaire où quand on va là-bas, c'est pour en ramener quelque chose, explique-t-il. Moi, je ne voulais ramener rien du tout. Ce qui m'intéressait, c'était simplement le contact d'égal à égal avec d'excellents musiciens. J'étais très respectueux du professionnalisme, mais pas intimidé le moins du monde. Je n'ai jamais été fasciné par l'exotisme que pouvait receler la musique country. Avec le décalage culturel, vous vous rendez facilement compte (au Québec) du miroir aux alouettes que représente un peu la culture américaine par ses clichés. Moi, j'aime la culture américaine, mais ce ne sont pas les clichés que j'aime, me semble-t-il.»

Le seul clin d'oeil - énorme! - au cliché country, façon Lucky Luke, est une chanson rigolote intitulée Comme un cowboy à l'âme fresh. «Je voulais vraiment faire une chanson-gag pour me moquer un peu de la façon complètement fausse dont les Français reçoivent le cowboy», reconnaît Murat en riant.

À l'Astral, Murat puisera dans son plus récent album et nous offrira des chansons plus vieilles et d'autres inédites: «Les versions sont vraiment différentes et souvent ça change de soir en soir. J'aime bien que les choses soient vivantes, ça me paraît être le minimum.»

Jean-Louis Murat, à L'Astral, les 10, 11 et 12 juin.