Cécité, surdité, autisme, syndrome d'Asperger, trisomie 21... Presque tous les membres de Rudely Interrupted ont un handicap mental ou physique. Ça ne les a pas empêchés de faire du rock...

On connaissait «l'art brut», forme d'expression unique aux handicapés mentaux. Mais on n'avait pas encore entendu de «rock brut», ou du moins, pas sous cette forme.

 

Venu d'Australie, le groupe Rudely Interrupted est, de loin, la plus étrange bibitte à nous rendre visite cette année. À première vue, ses chansons pourraient ressembler à celles de n'importe quel groupe d'indie rock. Mais dans les faits, cette formation est totalement unique. Imaginez: cinq de ses six membres sont atteints de handicaps physiques ou mentaux. Le chanteur souffre du syndrome d'Asperger, le claviériste est sourd à 80%, le batteur est autiste, le bassiste et la joueuse de tambourin sont trisomiques.

Quant au guitariste, permettez qu'on le considère comme fou à lier. C'est lui qui a eu l'idée de ce groupe improbable, qui nous visitera vendredi prochain au Lion d'or. «Tout a commencé dans mes classes de musicothérapie, raconte Rowhan Brooks, un rockeur raté qui s'est recyclé dans les projets insensés. Quand je me suis rendu compte que certains de mes patients avaient un vrai talent musical, je me suis dit qu'on pourrait peut-être faire quelques chose.»

Brooks se souvient encore avec étonnement des premières auditions qu'il a tenues pour le groupe. Il avait déjà trouvé son chanteur (Rory), et était à la recherche d'un batteur. Quand Josh s'est installé derrière les tambours, il est tombé en bas de sa chaise. «Le gars assurait comme un pro et n'avait jamais touché à un drum de sa vie! Quand je lui ai demandé où il avait appris, il m'a répondu qu'il jouait dans sa tête depuis toujours!»

De fil en aiguille, Rudely Interrupted a pris forme. Lancé un premier album en 2007. Et commencé à donner des concerts sur le circuit australien avant de déborder à l'international. Deux tournées nord-américaines plus tard, le groupe vient de faire l'objet d'un documentaire, racontant son histoire quasi hollywoodienne.

Et de l'inattendu...

Évidemment, l'intérêt va bien au-delà de la musique. On a beau admirer Rudely Interrupted. Les décrire comme un «mélange entre Joy Division et Gary Numan», il n'en demeure pas moins qu'il s'agit surtout d'une histoire humaine. Pour Rowhan Brooks, qui admet avoir revu ses préjugés, et pour les membres du groupe, qui ont trouvé là une inestimable forme d'exutoire. «La musique leur permet d'exprimer leurs émotions et de mieux comprendre le monde qui les entoure observe Brooks. En plus, ce projet leur donne quelque chose auquel ils peuvent s'accrocher. Une perspective d'avenir.»

«La musique m'a définitivement aidé, ajoute le chanteur Rory, interviewé dans la foulée. Mettre ses émotions et ses expériences personnelles en musique est une excellente forme de thérapie. J'ai toujours su que je ferais quelque chose avec le rock. Mais là, c'est beaucoup plus que ce que j'espérais.»

Dire que l'aventure est de tout repos serait toutefois exagéré. On ne part pas en tournée avec deux trisomiques, deux autistes et un malentendant sans risquer un peu d'inattendu. Deux baby-sitters «professionnels» ont ainsi été affectés au groupe, afin de gérer les situations plus difficiles. À titre d'exemple, Brooks évoque cette soirée où le bassiste Sam a fait semblant d'avoir une crise cardiaque dans le hall de l'hôtel. Ou cette autre où le chanteur Rory a catégoriquement refusé de monter sur scène parce que c'était cinq minutes plus tôt que l'heure prévue!

Pour le reste, ajoute-t-il, Rudely Interrupted n'est pas si différent des autres groupes de rock, aussi déficients mais pour d'autres raisons! «Tout le monde s'entend plutôt bien, et ils savent ce qu'ils ont à faire. Ils peuvent avoir l'air bizarre quand ils montent sur scène, mais quand ils commencent à jouer, la connexion se fait tout de suite...»

Rudely Interrupted au Lion d'or, 1676, rue Ontario Est, le vendredi 18 juin à 20h.