Paul McCartney donnera demain soir, au Centre Bell, son premier concert en plus de 20 ans à Montréal. Dimanche dernier, l'artiste de 68 ans a accordé une entrevue téléphonique à La Presse, entre le test de son et son spectacle à Toronto. Conversation avec un monument de la musique populaire conscient de sa valeur, mais qui a appris des Beatles à ne pas se prendre trop au sérieux.

Q : Vous avez dit récemment que les musiciens avec qui vous jouez depuis plusieurs années forment désormais un groupe?

R : Oui. Comme j'avais rencontré Abe (Laboriel, batteur) et Rusty (Anderson, guitariste) lors d'une séance d'enregistrement, je les percevais plutôt comme des musiciens de studio, même après quelques années passées avec eux. Puis, l'an dernier, je me suis rendu compte que ce n'était plus le cas. Nous jouons ensemble depuis suffisamment longtemps et nous nous connaissons assez bien, donc nous formons un groupe et c'est super. Je l'ai dit aux gars et ils ont tous acquiescé. Je me rends compte que ça fait une différence.

Q : Après avoir fait partie du plus grand groupe, les Beatles, vous n'avez pas tardé à en mettre un autre sur pied, Wings, en 1971. C'est important pour vous de faire partie d'un groupe? Avez-vous déjà envié les Rolling Stones, vos vieux amis et rivaux, pour leur longévité?

R : Non, pas vraiment, même si c'est un bon groupe. C'est ainsi que les choses ont tourné pour eux, mais ils ont connu des changements de personnel, ce n'est plus tout à fait le même groupe. Cela dit, nous n'étions pas d'aussi grands rivaux que les gens le croient. En fait, dans les années 60, tous les groupes étaient vraiment de très bons amis, nous étions tellement contents de nous croiser, de travailler, de devenir célèbres et que nos disques aient du succès. Il y avait une réelle camaraderie entre les groupes. Non, je n'envie pas les Stones, je suis vraiment très heureux de la façon dont les choses ont tourné pour moi.

Q : Vous avez eu droit à tous les honneurs, mais on dirait que le prix Gershwin de la chanson populaire qui vous a été remis en juin dernier à la Maison-Blanche vous a particulièrement touché.

R : Oui, parce que George et Ira Gershwin étaient des musiciens à part. Et c'était très chouette d'être à la Maison-Blanche et d'y recevoir l'hommage de grands artistes aussi divers que Dave Grohl, Elvis Costello, Jack White, Herbie Hancock, Faith Hill, Corinne Bailey Rae, les Jonas Brothers... Mais ce qui m'a surtout plu, c'était de rencontrer les Obama parce que je suis un grand admirateur du président.

Q : Vous êtes auteur-compositeur, chanteur, musicien, leader de groupe, artiste aux idées originales (Sgt. Pepper, enregistrer un album de Wings au Nigeria, tâter de la musique classique ou techno)...Lequel des aspects de votre métier vous procure-t-il le plus de satisfaction?

R : C'est difficile à dire... J'aime tout: écrire des chansons, jouer, pouvoir élargir mes horizons et faire de la musique classique; j'aime beaucoup faire un album pas mal plus libre comme celui de The Fireman (avec le réalisateur Youth), qui repose beaucoup sur l'improvisation. Chacun de ces éléments me permet d'en aborder un autre avec une certaine fraîcheur. Je me trouve tellement chanceux de pouvoir faire cela. Plusieurs personnes font uniquement de la musique classique, du jazz ou de la pop. Moi, j'ai eu la chance de toucher à toutes sortes de choses. Ça me procure fraîcheur et liberté.

Q : Est-ce ce qui vous motive encore aujourd'hui?

R : C'est l'amour de la musique qui m'a toujours motivé. J'aime faire de la musique. Dans mon temps libre, à la maison, je prends ma guitare ou je m'assois au piano et je me trouve très chanceux. Avant chaque spectacle, nous faisons un petit caucus où nous exprimons notre reconnaissance pour le cadeau de la musique. On utilise souvent cette expression sans vraiment y réfléchir, mais nous en sommes pleinement conscients: c'est vraiment un cadeau qui n'est pas donné à tout le monde. Pour moi, c'est venu très facilement: je viens d'une famille de musiciens, j'aime la musique et j'ai toujours été capable d'en faire d'une façon ou d'une autre, même si ce n'était qu'en sifflant un air.

Q : George Martin a déjà dit que c'était la rivalité entre John Lennon et vous qui expliquait votre progrès remarquable comme auteurs-compositeurs parce que, quand il vous a rencontrés, vous n'étiez pas capables d'écrire une chanson potable.

R : Cette citation de George est vraie en partie, mais je pense qu'on a un peu exagéré la rivalité entre John et moi. Il faut aussi tenir compte de notre amitié. Plutôt que de rivalité, je parlerais de compétitivité naturelle. Je pense que c'était une bonne chose. Je ne lui aurais pas caché une de mes idées, mais quand il écrivait une bonne chanson, je me disais tout naturellement que c'était à mon tour d'en écrire une bonne. Je n'essayais pas de le surpasser. Nous nous alimentions l'un l'autre.

Q : Vous chantez des chansons de John Lennon et de George Harrison depuis quelques années déjà. Vous sentez-vous l'ambassadeur des Beatles et non seulement des chansons que vous avez écrites?

R : Oui, je le pense. Je fais une chanson de George (Something) en son honneur et je chante une chanson pour John (Here Today) ainsi que A Day in the Life et Give Peace a Chance en son honneur. Il fut un temps où je n'aurais même pas pensé reprendre les chansons des autres gars, mais c'est venu tout naturellement. Pour Something, j'étais à la maison avec un ukulélé et j'ai trouvé une façon de la jouer. J'ai rencontré George et je lui ai dit: «Écoute bien ça, je joue une de tes chansons.» Je la jouais juste à la maison pour les enfants, mais après cette rencontre, j'ai commencé à la jouer pour de vrai. Puis je l'ai jouée au Concert for George (au Royal Albert Hall, un an après sa mort). Nous avions conçu cet arrangement, que je fais encore aujourd'hui, où Eric Clapton et le groupe embarquaient à peu près au milieu et jouaient la version d'origine, celle des Beatles. Donc c'est passé de moi qui la jouais seul à la maison au concert pour George et à notre spectacle actuel. J'aime quand les choses évoluent de façon organique comme ça. C'est chouette.

Q : Bono m'a déjà dit que le modèle d'Achtung Baby, peut-être le meilleur album de U2, avait été l'album blanc des Beatles...

R : Vraiment?

Q : Parce que, disait-il, on pouvait y entendre des chansons aussi différentes que Helter Skelter et Dear Prudence ou While My Guitar Gently Weeps et Goodnight, et que U2 voulait lui aussi repousser les limites de l'album traditionnel. Vous jouez Helter Skelter dans votre spectacle actuel. Quand U2 la jouait, en 1988, Bono disait: «Charles Manson a volé cette chanson aux Beatles, nous la lui volons à notre tour.» Avez-vous vraiment eu l'impression que cette chanson vous avait été volée?

R : Je crois que je n'ai jamais pensé la jouer justement parce qu'elle était associée à lui (Manson) et qu'elle avait amassé plein de mauvaises vibrations. En fait, c'est Rusty, un gars du groupe, qui m'a demandé pourquoi on ne la jouait pas. On l'a essayée et on a bien aimé la jouer. Encore une fois, cette chanson est revenue de façon quasi organique: plutôt que d'y réfléchir longuement en me disant qu'elle m'avait été volée, que Manson l'avait fait sienne, et en me demandant si je devais la jouer ou pas, elle a été suggérée par Rusty, nous l'avons jouée, nous l'avons aimée et, comme vous disiez à propos de l'album blanc, nous l'avons juxtaposée à des chansons complètement différentes. Ça semble fonctionner. Nous faisons notre propre version de cette chanson, une version pas mal heavy. C'est bien de faire un peu de heavy métal...

Q : Le troisième album de The Fireman est très différent des deux premiers, moins techno instrumental, plus chansons. Est-ce vrai que Youth et vous vous êtes imposé d'écrire, jouer et réaliser chacune des 13 chansons en une seule journée?

R : Oui, on a toujours fonctionné de cette façon avec The Fireman. Le concept de base était de profiter d'une liberté totale en studio sans trop y réfléchir. Pour les deux premiers albums, nous avons enregistré les pistes de base et nous avons joué autour toute la journée, puis nous sommes rentrés à la maison. Youth a mixé le tout, j'ai écouté le résultat le lendemain et nous sommes passés à autre chose.

La différence avec le troisième, Electric Arguments, c'est qu'un jour Youth m'a demandé de chanter. Je me suis donc mis à faire des la-la-la et il m'a dit d'y mettre des mots. J'ai répondu que je n'avais pas de chanson en tête et il m'a regardé comme s'il m'invitait à en inventer une sur-le-champ. J'ai donc fait des associations libres et lancé des mots sur les pistes de base.

Il y a un peu de mon habileté naturelle comme auteur dans tout cela, mais de toute façon c'est un peu ce qu'on fait quand on écrit une chanson: inventer des choses et voir si ça fonctionne. Donc oui, chaque jour, j'y ai mis pas mal tout ce qui me passait par la tête. Et peut-être que, le lendemain matin, on a décidé d'utiliser un bout comme refrain et de répéter un autre bout. Et on a fait une chanson par jour.

Q : Aujourd'hui, certains groupes mettent cinq ans à faire un album. Est-ce que ça vous a rappelé le rythme de production un peu fou des Beatles, qui ont enregistré tous leurs albums en moins de 10 ans? Était-ce le défi que vous vous étiez lancé?

R : Avec The Fireman, ça ressemble plus à de l'improvisation théâtrale. On est dans une pièce, on n'a absolument pas de scénario et on doit accoucher d'une idée. C'est un peu comme ce qu'a fait Mike Leigh avec la pièce de théâtre Abigail's Party: il a eu une idée et les acteurs ont composé leurs personnages. C'est très amusant à faire, très excitant.

Q : Dans All Together Now, le documentaire sur la création du spectacle Love du Cirque du Soleil, Ringo dit qu'en entendant le montage des dialogues des Beatles en studio et leurs chansons dans cet environnement, il a eu l'impression que vous étiez réunis tous les quatre. Ça vous a fait le même effet?

R : Absolument! Le plus beau, c'est qu'on a eu cette impression ensemble parce que j'étais assis à côté de Ringo. Nous nous sommes donné un coup de coude en disant: «Wow! On dirait qu'on est de retour en studio.»

Dans le spectacle, c'était fait très habilement, avec des silhouettes, donc on n'avait pas besoin de véritables représentations des Beatles. Mais ces dialogues provenaient de la bande des séances d'enregistrement montée alors qu'on préparait l'anthologie des Beatles. J'avais demandé à Allan Rouse, du studio Abbey Road, de mettre bout à bout tous ces dialogues. Il m'a remis une énorme bande, mais je me demandais vraiment ce que j'allais en faire. Il devait bien y avoir une façon de l'utiliser. Ça a servi au spectacle Love.

C'est bien, je pense, de nous entendre parler comme ça, parce que ça rappelle aux gens que nous étions amis. Même quand nous faisons des blagues et que nous nous tirons la pipe, on sent toujours la force du groupe, son unité.

Q : C'est sans doute ce que vous vouliez dire dans le livret de l'album Flaming Pie, où vous avez écrit: «Les Beatles n'étaient pas un groupe sérieux»?

R : Oui, c'est vrai. C'était bien parce que, si quelqu'un se prenait trop au sérieux, ça le désarçonnait. C'était sain. Nous ne nous sommes jamais permis de prendre ça trop au sérieux même si, évidemment, nous faisions de la musique sérieusement. C'était sérieux, mais léger.

Q : Le metteur en scène de Love, Dominic Champagne, estime que ce spectacle a eu un effet rassembleur et pacificateur sur vous, Ringo, Yoko et Olivia (Harrison). Le réalisateur de All Together Now, Adrian Wills, m'a même dit que son film se voulait une réponse au film Let It Be, qui marquait la rupture des Beatles.

R : Oui, c'est intéressant... c'est bon. Love fut très bon pour nous, comme de belles retrouvailles. Vraiment chouette.