Mort il y a 40 ans jour pour jour, Jimi Hendrix fut un des premiers martyrs du rock. Comme Che Guevara, son visage a tapissé l'imaginaire de plusieurs générations de rebelles idéalistes. Et son mythe est toujours aussi vivant.

Quatre décennies après sa disparition, la question mérite pourtant d'être posée: le «maître» a-t-il été surévalué? Ne fut-il pas, au final, qu'un simple bluesman psychédélique au talent un peu plus grand que la moyenne? Une icône passée à la postérité pour cause de mort prématurée?

À l'unanimité, la réponse est négative. Pour les exégètes du rock à qui nous avons parlé, l'héritage monumental de Jimi Hendrix ne fait aucun doute. Et cela à plus d'un point de vue.

Comme guitariste de rock déjà, son influence reste palpable. Du feedback au bruitisme, en passant par le groove, la polyvalence, le rythme, la technique et bien sûr la flamboyance, Hendrix a montré la voie de tous les possibles.

Chanteur du groupe Galaxie 500 et meilleur guitariste rock du Québec, Olivier Langevin l'avoue sans ambages: «Il a fait exploser le rock'n'roll. C'est lui qui m'a allumé.»

Il n'est pas le seul. Depuis 40 ans, des milliers de guitaristes ont tenté de jouer comme Hendrix... mais rarement avec succès. «Ils avaient les riffs, mais pas le reste», résume Jonathan Cummings, chroniqueur rock à l'hebdo The Mirror et leader de la formation USA Out of Vietnam.

Ce qui les attirait? L'affranchissement, croit tout simplement Billy Cox, ancien membre du groupe Band of Gypsys, une des multiples incarnations du génie hendrixien.

«Il a permis à la guitare rock de se libérer, avance le bassiste, qui sera de passage au Québec les 29 et 30 octobre avec le spectacle-hommage Experience Hendrix. Regarde tous ces gadgets qui font triper les guitaristes et leur permettent d'aller plus loin. Il fut le premier à les utiliser aussi bien.»

Artiste complet

Pour Jonathan Cummings, l'héritage de Hendrix va cependant beaucoup plus loin que la six-cordes. Contrairement à d'autres virtuoses de la guitare, qui n'ont développé que l'aspect masturbatoire de l'instrument, son talent était mis au service des chansons.

«Bien sûr il y a eu Purple Haze et l'hymne américain à Woodstock. Mais on oublie trop souvent qu'il était aussi un parolier, un chanteur et un vrai compositeur. Il voyait les morceaux dans sa tête. C'est ce qui le rendait si incroyable», observe Cummings.

Même son de cloche chez Craig Morrison, professeur d'histoire du rock à l'Université Concordia, qui voit chez Hendrix ce supplément d'âme et d'imagination qui font la marque des artistes complets et des innovateurs. «Il n'avait pas seulement de la créativité en abondance, mais aussi la sensibilité d'un poète et une très grande spiritualité. Sa vision du monde allait plus loin que la vie de tous les jours.»

Pour Olivier Langevin, tout cela se résume en un mot: «transcendance». Et c'est justement, dit-il, pourquoi l'oeuvre d'Hendrix a si bien «traversé le temps».

L'écoutera-t-on encore dans 3 ou 400 ans, comme l'affirme Billy Cox, en citant bravement Mozart et Handel? On ne sera plus là pour en parler. Mais aujourd'hui, 40 ans après sa mort, sa pertinence ne semble plus à démontrer.

«Hendrix n'a pas seulement contribué au rock, il a contribué à la culture en général, conclut Craig Morrison. Tout le monde voyait qu'il était plus qu'un musicien. Mais ce qu'il était vraiment est ouvert à l'interprétation. Tout dépend de celui qui t'en parle...»

Spéculations en «si» majeur

Que serait devenu Jimi Hendrix s'il n'était pas mort si jeune? La question plane depuis quatre décennies. Quatre connaisseurs spéculent.

Craig Morrison (professeur d'histoire du rock à Concordia)

«Il aurait sans doute continué à explorer. Il aurait essayé toutes sortes de nouveaux équipements comme tant d'autres artistes de sa génération. À cause de son côté spirituel, il serait peut-être tombé dans une musique plus ambiante. Mais à la fin, je soupçonne qu'il serait revenu à ses racines blues.»

Jonathan Cummings (guitariste, journaliste)

«Il se serait clairement éloigné de la pop. Il aurait probablement été dans des musiques plus afro-américaines, des trucs plus funk, plus jazz. Il parlait de collaborer avec Miles Davis. Il aurait sans doute fini par faire son propre Bitches Brew.»

Billy Cox (ancien bassisste de Band of Gypsys et ami de Hendrix)

«Je ne suis pas un prophète, mais je sais qu'en tournée, on écoutait beaucoup de musique classique. Peut-être qu'il serait allé dans cette voie. Il aurait mélangé ça avec du jazz et du blues.»

Olivier Langevin (guitariste)

«On peut imaginer plein de choses, mais c'est peut-être mieux qu'il ait terminé comme ça. Ça lui a évité de mal virer, comme c'est arrivé à tellement d'autres artistes!»

Mort comment?

Non, Jimi n'est pas mort d'une surdose de LSD. Pas plus qu'il ne s'est piqué dans un oeil. La réalité est à la fois beaucoup plus ennuyeuse et bien plus spectaculaire. Après une nuit bien arrosée, le guitariste n'arrive pas à dormir. Pour se reposer, il avale neuf comprimés de Vesparax, soit dix fois la dose prescrite. L'effet conjugué du vin, des somnifères et d'un sandwich au thon font qu'il s'étouffe dans son vomi. À 10h30, le 18 septembre 1970, il est officiellement décédé. Il avait 27 ans.

Trois incontournables

Découvrir ou redécouvrir Hendrix? Voici trois albums incontournables.

Are you Experienced (1967)

Le disque de la révélation. Incluant les classiques Purple Haze et Foxey Lady. Tous ceux qui l'ont écouté n'en sont jamais revenus.

Electric Ladyland (1968)

L'expérience éclatée. Et le début de la mutation pour Hendrix, qui pointe ici dans de nouvelles directions.

Band of Gypsies (1970)

Flanqué d'une nouvelle section rythmique complètement black (Billy Cox et Buddy Miles), Hendrix est au sommet de son groove.