Son fameux casque orné d'un panache d'orignal, Raôul Duguay l'a porté régulièrement depuis 40 ans, que ce soit avec l'Infonie ou pendant ses spectacles en solo. Mais cette fois, pas de casque loufoque: le panache dont il est ici question, c'est celui avec lequel il a conçu son 16e album, J'ai soif, raffiné, poétique, musical et engagé. Rencontre avec un jeune homme de 71 ans.

Raffinement: le mot fait plaisir à Raôul Duguay quand on lui parle de son nouvel album, dont il est producteur, directeur artistique, coréalisateur (en compagnie de Mathieu Durand), compositeur, auteur... Et parfois instrumentiste: sur trois morceaux, il joue avec sensibilité du flugelhorn, appelée aussi bugle, petite soeur douce de la trompette.

Que ce soit dans les arrangements des violons ou les voix de Mes Aïeux (qui lui tiennent lieu de choeur inspiré sur deux morceaux), dans la pochette et le livret (signés Yves Archambault) ou les textes, il y a partout ce souci de beauté et de vérité. «Yves a même fait appel à une technique photo très ancienne (le collodion humide) parce qu'il est tanné de faire des retouches - et à mon âge, je n'ai plus besoin de retouches! Ça ne fait peut-être pas rigolo, mais c'est classique et beau», explique Raôul Duguay.

«Sur mon précédent disque (Caser en 1999), j'étais tombé dans le panneau de faire le clown, reconnaît-il simplement. Et je reste un showman, j'aime bien faire rire les gens. Mais j'aime encore plus les faire chanter ensemble, leur parler... Quoi qu'on en pense, je suis d'abord un philosophe et un poète. Et je crois que j'ai fait là un disque lucide. C'est en tout cas, d'après moi, le premier album de ma carrière à avoir une telle unité.»

L'unité vient de l'eau: elle traverse, c'est le cas de le dire, tout l'album. Larme ou pluie, rivière ou sève, vague ou sécheresse, l'eau sous toutes ses formes est le pivot de ce J'ai soif, dédié à la mémoire de la regrettée Hélène Pedneault (1952-2008), l'une des fondatrices de la coalition Eau Secours! , qui plaide pour une gestion plus responsable de l'or bleu.

Qui dit unité ne dit pas homogénéité: sur l'album, on trouve du chant a capella, du country, une prière médiévale, du flamenco, du folk... Tout se lie pourtant avec une certaine grâce. «Je n'ai jamais été un chanteur de variétés, mais j'ai le sens de la variété, explique Duguay.

Il est question de mille choses pendant l'entrevue: de la version rap de La bitt à Tibi devenue Le beat à Tibi grâce à Anodajay («Je suis la seule tête blanche à faire du hip-hop au Québec», lance un Duguay ravi), du travail du coréalisateur Mathieu Dandurand («Disons que je n'ai pas inventé la brillantine en matière de technologie!»), des Porteurs d'eau (artistes et scientifiques qui se font porte-parole de la défense de l'eau), de Mes Aïeux qui chantent avec lui et qui sont eux aussi Porteurs, du spectacle multimédia AO à Drummondville dont il est le concepteur et auteur, du tout nouveau spectacle hommage au peintre naïf chicoutimien Arthur Villeneuve dont il fait partie, de sa tournée, de sa vie à la campagne... Mais surtout des textes de J'ai soif, qui s'ouvre sur les mots «Une femme...» et se termine par «enfants».

Mais disons que rien ne nous préparait à entendre du Duguay sur du flamenco (avec Dominic Soulard à la guitare) comme c'est le cas pour la chanson L'eau de Noé! «C'est venu d'une image: lorsque, après le déluge, Noé a repeuplé la Terre, il a envoyé ses enfants partout: ce sont devenus des nomades, des gitans, des gens qui vont à l'aventure.»

«La marée aux mille vagues (chantée en partie a capella avec Mes Aïeux), je l'ai écrite comme un hymne au Saint-Laurent pour qu'il nous survive: encore aujourd'hui, 47% des municipalités déversent leurs déchets dans le fleuve...»

Et le flugelhorn? Le flugelhorn, c'est en souvenir de son père, qui jouait d'une pléiade d'instruments, y compris le saxophone, mort alors que Duguay avait 5 ans: «J'étais le seul qui avait le droit de jouer avec ses instruments... Je suis un verbomoteur, et pourtant, paradoxalement, mon instrument principal ne me permet pas de chanter quand j'en joue... Il me permet de souffler.»

Avec panache. Secret: si vous regardez bien la pochette du disque, à droite du tronc d'arbre, vous trouverez peut-être le fameux casque à panache, dissimulé dans le décor: «Je l'assume, j'assume tout», conclut Duguay en riant.

En tournée au Québec, infos sur www.raoulduguay.net

CHANSON

RAÔUL DUGUAY

J'AI SOIF

MUSIART/SELECT