Le 13 avril, l'opéra-folk Les filles de Caleb, inspiré de la populaire trilogie romanesque d'Arlette Cousture, verra le jour au Théâtre St-Denis, 25 ans après la sortie du premier tome, 15 ans après la télésérie du même nom. En attendant, lundi, lancement d'un album de 15 morceaux originaux de ce «musical» pas comme les autres, signés Michel Rivard. On y entend Émilie, Ovila, Blanche, Caleb et les autres chanter...

On sait peu de chose, pour le moment, de l'opéra-folk Les filles de Caleb, sinon la distribution (Luce Dufault en Émilie Bordeleau, Daniel Boucher en Ovila, Stéphanie Lapointe en Blanche, etc.), le metteur en scène (Yvon Bilodeau remplace Daniel Roussel, pour des raisons de maladie), l'auteure du livret (Micheline Lanctôt, avec l'aval de la romancière Arlette Cousture), l'auteur-compositeur des chansons (Michel Rivard) et la date de la première.

En ce lumineux matin d'entrevue automnal, on en apprendra un tout petit peu plus: il y aura de vrais musiciens sur la scène (Yves Lambert à l'accordéon et l'incroyable violoniste Tommy Gauthier devraient en être), Daniel «Ovila» Boucher va jouer lui-même de l'harmonica et c'est Louis-Jean Cormier (de Karkwa) qui coréalise l'album et coarrange les chansons avec Michel Rivard.

«C'est la première fois que je tente une telle expérience, reconnaît Rivard avec humilité et nervosité, écrire tant de chansons en si peu de temps pour autant de personnages... Je pense que j'ai écrit plus de chansons en un an que d'habitude en cinq! Et c'est sûr que sur le disque, il manque encore bien des choses, ce sont des extraits: par exemple, Blanche y chante en tant qu'amoureuse, mais dans le spectacle, elle va aussi chanter son travail, sa découverte de l'Abitibi...» Les filles de Caleb, faut-il le rappeler, c'est aussi l'histoire de pionnières d'ici qui ne savent pas qu'elles sont des héroïnes...

Dans cet opéra-folk, il y a donc toute l'histoire des Filles de Caleb, qu'on connaît et aime: l'amour à la fois magnifique et maudit qui unit Ovila et sa «belle brume» Émilie, les grossesses à répétition, la religion, la vie à la dure, l'orgueil aussi des personnages... «C'est en lisant le premier tome, dernièrement, que j'ai réalisé à quel point Ovila, c'est un ti-cul, un «flo» au début», lance Daniel Boucher. «Et je n'ai pu m'empêcher de penser que s'il y avait eu la pilule à l'époque, reprend Luce Dufault (qui n'a pas vu la télésérie, mais a lu les romans), Émilie n'aurait jamais eu cette carapace qui s'épaissit à travers les années et qui va peu à peu enfermer sa fougue. À 40 ans, ces personnages sont vieux, usés...»

Car c'est une histoire souvent triste, celle d'Émilie, d'Ovila, de leurs enfants... Et c'est pour ça que la musique est si importante: «On est revenu à la base, aux romans, explique Rivard, et la scène où Caleb donne un accordéon à sa fille parce qu'il comprend qu'elle n'a pas choisi la voie facile, qu'elle sera souvent seule, et parce qu'il accepte qu'elle fasse un tel choix, m'a semblé fondamentale: il lui fait cadeau de la musique.»

En écoutant le prologue instrumental qui ouvre Les filles de Caleb ou la très belle chanson Ma belle brume, on reçoit nous aussi le cadeau de la musique, Rivard ayant tricoté des mélodies folk-country et trad tout en sensualité et en subtilité: «Je me suis dit: je vais inventer du folklore», lance Rivard, qui précise tout de suite: «Ce que je veux dire, sans prétention, c'est que j'ai décidé de me servir de ma mémoire et de mon amour de la musique pour inventer un langage musical pour ce musical, sans faire de recherche sur le folklore, ni essayer de coller à ce qui jouait à l'époque.»

«Mon compositeur de musicals préféré, reprend-il, c'est Stephen Sondheim (West Side Story, Sunday in The Park With George, Into The Woods...), mais musicalement, c'est hors de ma portée, c'est de la musique savante. Ce n'est pas de ça dont je suis capable.»

La première chanson qu'il a soumise aux producteurs (tandem.mu) a été justement Ma belle brume: «Et je leur ai expliqué que ce que je peux composer, ça ne sera pas plus spectaculaire que ça: une guitare, un harmonica et une voix. Est-ce que ça vous va? Ça leur allait.» Plus d'une trentaine de «moments chantés» sont prévus pendant le spectacle, dont les 14 (plus un instrumental) qui figurent sur l'album.

Rivard a fait appel à Louis-Jean Cormier pour les arrangements et la réalisation «surtout pour ce que Louis-Jean avait fait avec les 12 hommes rapaillés, à partir des musiques country-folk composées par Gilles Bélanger pour les poèmes de Miron.» Et pour les textes, Rivard s'est inspiré de la trilogie, Micheline Lanctôt ayant extrait les scènes et les phrases clés des romans pour qu'il les poétise et en fasse des chansons.

«Quand on dit aux gens qu'on monte Les filles de Caleb en musical, conclut Daniel Boucher, les gens nous regardent et disent: «Ah oui, vous êtes sûrs? Vous allez faire ça?» Oui, on est sûr et, oui, on va faire cela! On sait que c'est au Saint-Denis, le 13 avril, faque, envoye, Michel, go, go, go!» Rivard rit, Luce Dufault s'esclaffe, tous les trois se regardent et relèvent le menton. Eux aussi, ils sont de la race d'Émilie, du pays de nos grands-parents, eux aussi sont des pionniers...