En mixant son nouvel album, Tout est bien, Robert Charlebois s'est rendu compte qu'il n'y chante à peu près que des chansons d'amour. À partir de textes qu'il a pourtant écrits lui-même ou signés par des collaborateurs dont Mozart et saint Augustin. Conversation à bâtons rompus sur un thème jamais démodé.

Robert Charlebois n'a pas souvent chanté l'amour. Avril sur mars était une exception dans ses 15 premiers albums, me dit-il assis au piano de la petite pièce de sa maison où il fait de la musique. «Sur mon dernier album - Doux sauvage, paru en 2001 - j'avais une chanson d'amour, Les ondes, qui a occulté toutes les autres, constate-t-il. Dire qu'on l'aime au premier degré à sa blonde ou à sa femme, ce sont les chansons les plus dures à faire parce qu'il y en a huit millions!»

Aussi étonnant que ça puisse paraître, ce thème omniprésent de l'amour, Charlebois ne l'a pas vu venir. Pourtant, alors que nous discutons des grèves qui secouent la France, une évidence s'impose. «Le système capitaliste est rendu au boutte, dit Charlebois. Je ne le chante pas parce que tout le monde sait qu'on crève sous la surconsommation et que la Terre est polluée, les magazines et les journaux en sont pleins. J'avais des chansons un peu d'actualité, mais j'ai décidé de les tasser. Il y a beaucoup de monde de découragé. Mettons que pour toi, ça va pas mal et pour moi, ça va bien. Mais il y a tellement de monde pour qui c'est très dur qu'on a quasiment honte d'avouer que ça va bien.»

Charlebois, qui n'est jamais à court de théories intéressantes, ajoute que même son idole Elvis, à qui il fait référence parmi les souvenirs d'enfance qui émaillent Satisfaction! - un gros clin d'oeil aux Stones, reconnaît-il -, nous a surtout laissé des chansons d'amour. Se serait-il lui-même empêché d'en écrire par pudeur ou par peur d'être quétaine? «Les deux, parce qu'il y a beaucoup de chansons d'amour à numéros qui sont faites à la machine, qui n'ont aucun intérêt. Jean-Pierre Ferland, par exemple, trouve toujours un nouvel angle.»

De nouveaux collaborateurs

Charlebois signe toutes les musiques et cinq des douze textes de Tout est bien. Les autres sont l'oeuvre de deux collaborateurs et amis de longue date, David McNeil et Jean-Loup Dabadie, et deux auteurs que le chanteur frisé a moins fréquentés, Mozart et saint Augustin, dont le texte lui a inspiré la chanson Ne pleure pas si tu m'aimes dont est tiré le titre de l'album.

Mozart? Charlebois s'excuse de me lancer une «farce plate» pas vraiment méchante sur les médias qu'Aznavour lui a faite deux jours plus tôt, puis il remercie aussitôt Le Nouvel Observateur de l'avoir mis sur la piste des lettres de Wolfgang Amadeus à ses proches dans un numéro spécial soulignant le 250e anniversaire de naissance du compositeur.

«Les lettres à sa cousine, c'est de la grosse pornographie, même le marquis de Sade arrive deuxième, mais c'est de la folie pure, jamais méchant, dit Charlebois en riant. J'ai pigé dans les lettres à sa femme où c'est comme s'il parlait à sa bite. Je n'ai pas changé une ligne, le beat est là. Il n'y a aucune vulgarité, c'est juste un peu grivois. Il y a une grâce chez Mozart qu'on ne connaît pas pour son écriture.»

La chanson suivante, qui clôt bellement le disque, est moins coquine. Charlebois a découvert un texte de saint Augustin sur l'amour qui survit à la mort au dos de la photo d'une vieille dame extraordinaire, amie de sa belle-mère, qui venait d'être emportée par un cancer. «J'ai eu une grosse émotion et je me disais que si je pouvais mettre un minimum de mélodie, un peu chantée, un peu parlée, ça serait épouvantablement beau. Cette chanson, où saint Augustin dit je suis seulement passé, ce que nous étions l'un pour l'autre, nous le sommes toujours, m'a beaucoup apaisé. Sauf que moi, je voudrais bien y croire, mais j'ai très peur...»

D'autres chansons où Charlebois aligne les souvenirs peuvent donner l'impression de verser dans la nostalgie, ce dont il se défend à peine parce qu'il aime sincèrement la nostalgie. Mais s'il chante «Je chante donc je suis» dans J'me fous pas mal du temps qui passe, il fait déboucher ces chansons sur une déclaration d'amour qu'on n'attendait pas. On pourrait presque en dire autant de Battement de cils, une très belle chanson presque solennelle de McNeil et Charlebois dans laquelle il est question de l'homme qui reste debout devant la répression, la guerre et l'esclavage, mais qui rend les armes à genoux devant une femme ou un enfant. C'est aussi la préférée de Charlebois qui donne le ton à plusieurs des chansons de l'album, plus orchestrales, où les cordes se mêlent à un cor français ou à un trombone.

L'autre facette de Tout est bien, ce sont des chansons plus organiques, blues ou country, où le B3 fait bon ménage avec les guitares, acoustiques ou électriques. Comme Canadien Pacifique, cousine lointaine de CPR Blues, et la réjouissante J'ai jamais rien compris, à la fois rhythm and blues et funky. «C'est celle qui me faisait le plus peur», avoue Charlebois.

Treize autres chansons sont restées en plan parce qu'elles s'intégraient moins bien à l'album, dont une signée Plamondon sur laquelle Charlebois comptait: «Je pensais avoir une grosse chanson de scène extrêmement pop, mais en arrivant en studio je me suis rendu compte qu'on était en train de faire une joke. Il lui manque quelque chose de fort et de beau. Luc est d'accord.»

Ces chansons, Charlebois ne les a pas mises à la poubelle. Peut-être referont-elles surface un jour sur scène. Mais sûrement pas en décembre à La Tulipe où Charlebois intégrera deux ou trois nouvelles chansons tout au plus dans le concept modulaire de son spectacle Avec tambour ni trompette.