Lorsqu'on pense musique algérienne, on pense raï, chaabi, arabo-andalou. Pense-t-on vraiment Afrique? C'est un pensez-y bien...

Djmawi Africa, qui inaugure le onzième Festival du monde arabe ce vendredi à l'Astral, pense d'abord Afrique.



En France et en Europe, le groupe a fait quelques incursions. En Amérique, la formation est inconnue, sauf par une portion minoritaire de la communauté maghrébine. En Algérie, c'est fort différent: depuis sa fondation il y a six ans, le groupe a connu assez de succès pour remplir des salles importantes. L'actualité de la forme musicale et la jeunesse de ses membres y sont certes pour quelque chose.

«La particularité de Djmawi Africa, c'est que ce groupe se tourne vers les origines africaines de l'Algérie» amorce Abdou, guitariste du groupe joint à Alger peu avant qu'il ne décolle vers Montréal. Effectivement, l'arabité ne l'emporte pas sur l'africanité lorsqu'on écoute cette musique téléchargée sur la Toile.

«En Algérie, soulève notre interviewé, il y a actuellement un grave problème identitaire chez les jeunes. Certains se tournent vers l'Occident, d'autres vers les traditions arabes. Nous croyons qu'il faille regarder ailleurs: pourquoi ne pas explorer notre africanité? Nos origines africaines ne coulent-elles pas de source, même si on a les pieds dans la Méditerranée?»

Selon Abdou, la démarche de Djimawi Africa n'est pas un rejet des autres formes musicales algériennes pour autant.

«Nous savons que le raï et le chaabi algériens se sont internationalisés, et que leurs interprètes continuent à le faire très bien. Or, il n'y a pas que ces styles en Algérie. Il y a autre chose à explorer pour contrer l'exode des jeunes qui partent aux États-Unis, au Canada, en France ou en Europe. À travers notre musique et la jeunesse de nos membres (une moyenne de 25 ans), on essaie de joindre les gens de notre génération en leur disant: arrêtez un peu de regarder la télé, et voyez ce qui se passe chez vous, sur votre continent.»

Hormis le rock, le blues, le reggae et des fragments probants de pop algérienne, la musique gnawa est au centre de cette musique de Djmawi Africa. Cette musique est celle d'un peuple métis évoluant au nord du continent africain, particulièrement en Mauritanie et au Maroc, où elle a traversé les cultures, marqué rockeurs et jazzmen depuis les années 60.

«Cette  influence gnawa est aussi très importante en Algérie, souligne Abdou. Ainsi, nous intégrons le son gnawa et ses instruments traditionnels - guembri, qarqabus, etc. Également, nous mettons  en relief l'africanité des musiques arabo-andalouse dont s'inspire aussi le chaabi. À travers les gammes et les modes des musiques qui traversent l'Algérie, nous voulons mettre l'accent sur cette africanité.»

Encore faut-il à Djmawi Africa la chance de décoller au-delà de ses frontières pour faire valoir sa nouvelle mixtion.

«Ce n'est pas facile, convient notre interviewé. Jusqu'à nouvel ordre, nous ne pouvons pas tous vivre de notre musique. Nous avons la chance de voyager mais nous avons régulièrement des problèmes de visa pour nous déplacer à l'étranger. Il faut intervenir sans cesse auprès des ambassades. Même pour aller en France, où nous avons joué à maintes reprises, ce n'est pas évident. Nous subissons beaucoup de choses...»

Par voie de conséquence, la tentation est-elle forte de quitter le pays pour reconstruire la base de Djmawi Africa dans un pays occidental?

«Contrairement à tant d'artistes algériens qui vivent en Europe, surtout à Paris, et qui font de l'excellente musique de référence, nous avons décidé de rester chez nous. Faire de la musique algérienne à Paris et en faire à Alger, ce n'est vraiment pas pareil. Nous avons connu la décennie noire (les années 90) et l'après-décennie noire, périodes marquées par l'absence de culture et de consommation culturelle. Si les jeunes laissent ce pays, personne n'en prendra soin. Pour nous, rester en Algérie est une forme de résistance.»

Ce vendredi à l'Astral, 20h, Djmawi Africa inaugure le onzième Festival du monde arabe.