Jorane lance un nouvel album mardi. Oui, un album de reprises. Non, pas un album de reprises qui ressemblent à ceux lancés depuis trois ans. Car qui d'autre que Jorane pourrait chanter à la fois Anne Sylvestre et Indochine, Richard Desjardins et Niagara? Et le faire presque seulement avec sa voix et son violoncelle?

Dans le petit restaurant mexicain, Jorane essaie de tout expliquer en même temps, consciente que c'est impossible, mais essayant tout de même, avec ferveur, avec intensité, avec tout son corps. Elle n'a pas changé: c'est la même Jorane qu'en 1999, au moment de la sortie de son premier album (Vent fou) alors qu'elle essayait, là aussi, d'expliquer sa démarche tout en jugulant les 3000 idées qui se percutaient en même temps dans sa tête. La seule différence? Le restaurant était alors iranien...

Sept albums studio plus tard, son nouveau disque s'intitule Une sorcière comme les autres, du nom de la chanson (exceptionnelle) d'Anne Sylvestre qu'elle reprend de façon très personnelle et poignante: «Ce n'est pas une chanson fleuve (NDLR: elle dure 8 minutes 50), c'est une chanson phare!» s'exclame-t-elle, le poing quasi en l'air.

En fait, Jorane reprend non pas une, mais bien deux chansons de la grande auteure-compositrice française: elle interprète aussi la très belle Les gens qui doutent, qui a même servi de détonateur au projet: «J'étais dans mon auto en train d'écouter la radio quand on annonce cette chanson, que je ne connais pas, d'Anne Sylvestre. Je ferme la radio... et je réalise que c'est justement parce que je ne connais pas cette chanson que je dois l'écouter! Je rouvre donc la radio... et là, j'entends ce texte incroyable, qui dit exactement ce que je ressens. À la maison, je me suis garrochée sur l'internet pour la réécouter, c'est elle qui m'a donné le goût de chanter les mots des autres.»

Ces «mots des autres» qu'elle a touchés de sa voix de fée, aidée de sa baguette-archet, ce sont Le baiser d'Indochine, Marilyn et John popularisée par Vanessa Paradis, Départ de Vigneault, Pendant que les champs brûlent de Niagara, L'engeôlière de Desjardins, Je te laisserai des mots de Patrick Watson (qu'on entend dans le film français Mères et filles, présentement à l'affiche), les deux chansons d'Anne Sylvestre...

C'est aussi En pleine face d'Harmonium («c'est l'ultime chanson que j'ai enregistrée, mais c'est la première sur le disque») et la version française faite par le poète Gilbert Langevin de la chanson Suzanne de Leonard Cohen: «Tu as vu la pochette de mon disque? C'est une réponse à la pochette du Greatest Hits (en 1975) de Cohen, oh je l'aime tellement!» dit-elle en montrant les deux pochettes sur son téléphone, excitée comme une enfant.

On croit Jorane quand elle explique que c'est par démarche personnelle, et non pour suivre la mode (lucrative) des disques de reprises, qu'elle a fait un tel album: «C'est vraiment pour poursuivre mon travail avec le pouvoir des mots: à mes débuts, je n'avais aucun mot sur mes chansons, je chantais en langue inventée; ensuite, j'ai fait des textes en anglais et j'ai réalisé la discipline que ça exige, écrire; ensuite, j'ai écrit les textes en français de mon disque Vers à soi (en 2007)... Avec Une sorcière comme les autres, je continue en faisant mon album le plus personnel de tous, à mon avis: seuls ma voix et mon «cello» servent de cocon pour les mots des autres.»

À sa voix et à son violoncelle, s'ajoutent, en touches minimales, quelques notes de contrebasse, de harpe ou de ukulélé (joués aussi par Jorane), ou de piano, de basse, à peine de batterie, par Éloi Painchaud et Alex McMahon: tous trois signent les arrangements. Monique Giroux a également aidée Jorane pour le choix des chansons. Mais le gros de la réalisation revient à Jorane.

«Tu comprends, je suis comme tous les musiciens: ce qu'on veut, c'est réussir à faire parler la musique... Et pour faire parler la musique des mots écrits par d'autres, ça demande une transparence parfaite: ces chansons, elles sont déjà parfaites! Elles existent et elles touchent déjà des milliers de gens depuis des années, alors, ça demande incroyablement de travail pour y apporter quelque chose.» Alors, elle a travaillé incroyablement, toute seule, «ermitée» pour reprendre son expression, dans son petit studio baptisé la «cabane à Jorane». «En fait, c'est mon garage que j'ai isolé», explique-t-elle en riant. Studio qui est juste à côté du plus gros studio où son chum, Éloi Painchaud, mène avec brio son travail de réalisateur. Avec leurs trois enfants (Manolo, 4 ans, et les jumeaux Willem et Noé, 2 ans), ils concilient ainsi travail et famille à leur manière.

Dans les mois à venir, Jorane se promènera sur les routes avec ces chansons «dont les textes me chavirent», seule avec son violoncelle, sa harpe et son ukulélé. Mais continuera de travailler à ses mille autres projets, notamment ce fameux disque de «chansons sans paroles» qui la travaille depuis des années: «Tu comprends, la musique, c'est une langue...»

CHANSON

JORANE

UNE SORCIÈRE COMME LES AUTRES

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