Qu'ont en commun le chanteur Enrico Macias, la rappeuse Roxanne Shanté, la légende calypso The Mighty Sparrow et Gonzalez, roi de la pop? A priori, pas grand-chose, sauf ceci: tous collaborent à Sleepover, le nouvel album du Montréalais Josh Dolgin, alias Socalled.

Le producteur, chanteur, compositeur, DJ, pianiste, photographe, cinéaste, magicien et archéologue du disque a mis quatre ans avant nous livrer cette nouvelle galette solo, sortie en format numérique cette semaine et disponible dans les bacs mardi. Assez longtemps pour peaufiner son style hybride unique, mais aussi pour évoluer dans sa quête artistique et identitaire.

Si la fibre juive est encore détectable sur Sleepover, l'artiste la revendique beaucoup moins que sur son précédent Ghettoblaster. Socalled ne voulait plus se résumer aux sonorités yiddish qui l'ont défini et fait sa réputation jusqu'aux confins de la Volga, notamment grâce au clip de You Are Never Alone, vu plus de deux millions de fois sur YouTube.

Cette fois, sa démarche l'amenait ailleurs. «Je suis aussi juif qu'avant, mais je suis beaucoup moins intéressé par les prises de position identitaires. La culture juive m'a donné une voix. Maintenant que je l'ai trouvée, je ne veux pas m'asseoir dessus. Je veux embrasser large et être entendu par un maximum de gens», explique le musicien, rencontré cette semaine dans un café bobo du Mile End, avant son départ pour une série de spectacles à Londres avec Gonzalez.

Finalement, Sleepover n'est qu'un simple disque de musique pop, dit Socalled. Sauf que dans son cas, comme d'habitude, pop rime aussi avec hip-hop, sampling, instruments folk traditionnels, mélodies accrocheuses et bric-à-brac sonore.

Cet incroyable éclectisme, qui est devenu sa marque de commerce, est accentué par une improbable brochette d'invités, qu'on ne verrait pas normalement ensemble, mais qui dans la galaxie Socalled, semblent tous avoir leur place.

Outre les quatre noms cités plus haut, l'album convie entre autres le trompettiste serbe Bobian Markovic, le guitariste funk Allen Watsky, le rappeur québécois Sans Pression, le pianiste quasi centenaire Irving Fields et le roi de la House de Chicago Derrick Carter. Et puis, il y a bien sûr l'incontournable chanteuse Katie Moore, dont la voix est devenue si étroitement liée à celle de l'oeuvre socalledienne qu'on ne peut tout simplement pas imaginer l'une sans l'autre.

Le résultat est forcément ludique, voire joyeux. Du moins en apparence. «Ce sera la trame sonore de l'été», lance le musicien derrière ses lunettes à la Woody Allen, qui lui donnent son éternel air de clown.

Turbulences

Mais sous la surface, Sleepover est un album profondément mélancolique, confie-t-il. «Je l'ai fait dans une période particulièrement turbulente de ma vie. Une période de transition, tant sur le plan créatif que personnel, pendant laquelle je me remettais beaucoup en question.» Il souligne que la chanson Beautiful, qu'il a écrite entièrement seul - chose rare dans son cas - est le reflet de cette période difficile.

Ne pas croire, cela dit, que tout va mal dans la vie de Socalled. Après Arcade Fire et Patrick Watson, Josh Dolgin est un des musiciens montréalais avec la plus grande activité internationale. Ses collaborations avec le clarinettiste américain David Krakauer et le tromboniste funk Fred Wesley l'ont amené aux quatre coins de la planète musicale, tout comme son association avec le Montréalais-devenu-Parisien Gonzalez. Sans oublier sa participation comme producteur au dernier disque d'Enrico Macias (Voyage d'une mélodie) et le documentaire The Socalled Movie, réalisé par le cinéaste montréalais Garry Beitel (Chez Schwartz's) qui s'est promené dans les circuits des festivals.

À l'entendre, c'est loin d'être fini. Sleepover n'est même pas encore sorti que Socalled a déjà un paquet d'autres projets dans sa ligne de mire, le premier étant un album de reprises des chansons de Kurt Weill. Le musicien vient de passer 10 jours en résidence à Banff pour parfaire sa technique «kurt-weillienne» au piano et a déjà commencé à enregistrer quelques morceaux.

Lhasa - à qui Sleepover est notamment dédié - devait faire partie de l'aventure. À défaut, on devrait y retrouver la chanteuse Feist, le chanteur juif Theodore Bikel et même l'extraterrestre du funk George Clinton, père de Parliament et Funkadelic.

À suivre.

Socalled, en spectacle au cabaret du Mile End, 12 mai à 20h.