De concert avec son ami et collègue Robert Glasper, Gretchen Parlato a créé et réalisé The Lost and Found, un album majeur paru cette année sous étiquette ObliqSound. De nos jours, très rares sont les chanteuses capables de laisser une marque aussi profonde sur la planète jazz, au-delà de leurs capacités techniques et leurs connaissances académiques. En 2011, cette artiste se trouve seule devant le peloton des chanteuses dites de jazz.

Timbre. Phrasé. Nuances. Sensualité délicieuse. Douceur extrême. Force tranquille. Puissance insoupçonnée. Raffinement. Voilà autant de qualités qui justifient cet appel téléphonique à New York.

Au bout du fil, Gretchen Parlato reste humble et prudente lorsqu'on lui rappelle le succès d'estime dont elle jouit depuis la parution encore récente de The Lost and Found. Qu'elle se démarque clairement des artistes associés à tort au chant jazz. Que l'impact esthétique de son troisième album serait comparable à celui Blue Light'Til Dawn que Craig Street avait réalisé pour Cassandra Wilson dans les années 90.

« Je crois qu'il y a de l'espace pour quiconque dans le jazz, nuance-t-elle. Ce terme reste très ouvert à plusieurs styles. C'est peut-être plus évident chez moi que chez d'autres très bonnes chanteuses mais... certains trouveront à dire que ma musique ne swingue pas assez! La notion de jazz doit rester ouverte, chanteurs ou chanteuses tendent aujourd'hui à incorporer différents styles musicaux à des musiques  associées au jazz. Bien sûr, il importe de faire évoluer les manières de chanter le jazz, plutôt que de s'en tenir  à l'imitation des chanteuses extraordinaires des époques antérieures. »

Le pianiste Robert Glasper, dont on vante le talent depuis quelques années déjà, a coréalisé The Lost and Found. Avec Gretchen Parlato, il a choisi les standards et chansons au programme (Blue in Green, Juju, Holding Back The Years, etc), arrangé certaines pièces, peaufiné les compositions de la chanteuse. Ensemble, ils ont adopté une direction multipolaire et superbement intégrée : jazz  moderne, soul, hip hop, musica popular brasileira, folk indie.

Au sujet de Glasper, la chanteuse ne tarit pas d'éloges :

« Je suis une grande fan de lui depuis que je le connais. Il est devenu mon ami lorsque je suis venue m'installer à New York en 2003. Maintes fois, nous avons collaboré. J'aime son approche, j'aime comment il ressent la musique, comment il l'écoute. Je partage ses visions théorique, technique, spirituelle, émotionnelle. Il est un être humain merveilleux, un collègue formidable. Et je sais qu'il connaît ma voix mieux que quiconque.

« Il sait me sortir de ma zone de confort, repousser mes limites. Il sait faire en sorte que tous les musiciens impliqués dans un enregistrement se sentent inspirés, productifs, positifs et surtout  eux-mêmes - Taylor Eigsti, piano, Alan Hampton, guitare et voix, Derrick Hodge, contrebasse, Kendrick Scott, batterie. Il est de bon conseil et capable de rajuster le tir lorsque nécessaire. Qui plus est, il est  un des gars les plus drôles que je connaisse. Son énergie est contagieuse. Pour moi, c'était le choix évident. En lui, j'ai mis toute ma confiance. »

Ça s'entend clairement dans The Lost and Found, l'empreinte de Glasper y est plus qu'évidente.

Fille de Dave Parlato, qui fut bassiste auprès de Frank Zappa, Gretchen Parlato a grandi en Californie. Prédisposée? Mets-en. L'envie de chanter le jazz remonte au début de l'adolescence.

« J'ai commencé par imitation alors que j'apprenais le chant dans une école secondaire avec un programme destiné aux arts - LA County Highschool for the Arts, un endroit merveilleux pour s'immerger des pratiques artistiques. J'avais d'abord essayé de chanter le texte de So What (Miles Davis) écrit par Eddie Jefferson. J'avais ensuite repris le solo de Stan Getz dans sa version de  Desafinado de l'album Getz-Gilberto.

« Puis j'ai étudié avec Tierney Sutton, ma grande soeur.  Elle m'a prise sous son aile et m'a fait comprendre le jazz et m'a montré les directions que je pouvais y prendre. Après quoi je me suis inscrite aux jazz studies de UCLA, j'y ai appris la théorie et le piano.»

La suite est d'autant plus brillante. En 2004, elle remportait la première place de la prestigieuse Thelonious Monk International Jazz Vocals Competition. La trentenaire vit à New York depuis la décennie précédente. Elle y a perfectionné un style unique dont elle résume les fondements :

« Toute ma vie, j'ai entendu des chanteurs issus de toutes cultures, c'est pourquoi je ne m'en suis jamais tenue à une approche classique du jazz. Il m'a toujours semblé plus intéressant d'exploiter le potentiel sonore de chaque syllabe, voyelle ou consonne. Explorer la résonance de la voix humaine, son expression en solo, aussi dans un contexte harmonique ou même la voix utilisée comme toile de fond.  J'ai beaucoup réfléchi au formes et aux moules que la voix peut façonner.

« C'est pourquoi je ne m'en tiens pas à un modèle vocal unique. Des exemples? Je ne me sens pas tenue de faire un solo dans chaque chanson. Je peux exploiter un maximum de possibilités sur un seul accord. Je peux aussi chanter des standards et improviser d'une manière «classique». J'ai appris le langage de l'improvisation mais je vois dans la texture et l'espace des valeurs aussi importantes. »

Qui plus est, Gretchen Parlato sait user de l'intensité.

« La puissance, soulève-t-elle, n'est qu'une arme parmi d'autres, la bossa nova nous l'a appris.

Less is more... le calme peut aussi révéler une intensité incroyable. Toutes les émotions humaine doivent être exprimées dans l'art, la voix doit en témoigner. Dans cette optique, il faut accepter la voix qu'on a, en tirer le maximum en restant honnête envers soi-même. »

Gretchen Parlato se produit le mardi 28 juin, 21h, à L'Astral. Elle sera accompagnée par le pianiste  Aaron Parks, le contrebassiste Alan Hampton et le batteur Jamire Williams.